L'OBSERVATOIRE DE L'EUROPE
Forum d'analyse et d'opinions pour un débat libre sur la construction européenne
Lundi 23 Avril 2018

Fédéralisme, souverainisme : pour en finir avec les -ismes trompeurs


Cela fait quarante ans que les intéressés dénoncent comme des perroquets "l’Europe fédérale", "l’Europe fédérale".... Mais pourquoi fédérale ? Non seulement l’utilisation de ce mot est maladroite en terme de communication mais elle est fausse sur le plan du droit et de la théorie politique. Dans le même temps, se dire soi-même "souverainiste", c'est tomber dans le piège du syndrome de Stockholm où les victimes tendent le cou au bourreau. La souveraineté n’est qu’un autre nom de la liberté collective. Elle n'a donc pas à être une secte puisqu'elle n'est rien d'autre que ce qui définit la démocratie.

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Ni fédéralistes, ni souverainistes, par Roland Hureaux

Jamais on ne  dira assez combien  le choix des mots importe dans les batailles politiques.  Hélas  la paresse intellectuelle  qui règne dans les milieux  de droite  empêche qu’ils s’en rendent compte.
Cela vaut aussi pour les patriotes adversaires de l’Europe de Bruxelles qui ne  sont pas tous  de ce bord.
Cela fait quarante ans  que les intéressés dénoncent comme des perroquets l’Europe  fédérale, l’Europe fédérale. Mais pourquoi  fédérale ? Parce qu’a   apriori  une union de nations  est une fédération. Parce que surtout  les partisans de cette formule se sont  donné  ce qualificatif. Un qualificatif gentil : fédérer, c’est réunir, c’est tisser des liens.
Or non seulement l’utilisation de ce mot est maladroite : on ne donne jamais un nom valorisant  à son adversaire : le général de Gaulle dont  le moindre talent n’était pas  la communication l’avait compris : il ne parlait jamais  d’Europe fédérale mais d’Europe supranationale, ce qui évoque une machinerie lourde et oppressive, beaucoup moins sympathique qu’une fédération.
Le mot de fédéralisme  n’est pas seulement  de la mauvaise communication, il est  faux. C’est  d’ailleurs un principe éthique    méconnu  que la meilleure communication  est , la plupart du temps,  de  dire tout simplement  la vérité,  ce qui ne va pas de soi car beaucoup , faute de réflexion , lui préfèrent des formules toutes faites.
Pourquoi l’Europe de Bruxelles n’est-elle pas  fédérale ? Dans une vraie fédération, les affaires de second  rang sont laissées aux entités fédérées. Or  Bruxelles non seulement ne les leur laisse pas mais ne cesse de les faire remonter   : l’Acte unique de 1987, au motif de   réaliser un marché unique totalement homogène sur le plan réglementaire,   a enlevé aux länder allemands leurs  compétences de réglementation  économique et professionnelle  pour le   transférer  non à  Berlin mais à Bruxelles (alors même qu’aux Etats-Unis, une partie de ces compétences reste aux Etats).    Quant  au principe de subsidiarité, invoqué  à l’ article  5 du traité de Lisbonne ( repris de l’article 3 B du traité   de Maastricht)  ,  il est parfaitement mensonger  car y font exception  notamment les « acquis communautaires », c’est à dite tout ce qui a déjà été transféré au niveau central et ce qui peut encore l’être , soit  « ce qui peut être mieux réalisé au niveau communautaire. »  
On ajoutera que dans une vraie fédération, le niveau central  n’a aucune relation directe avec les niveaux autres que fédéré  (-1) et laisse à ce dernier la tutelle des collectivités locales (- 2, -  3 etc.) C’est ce qui se  passe en Suisse  ou en Allemagne, pas en France.  Mais la France n’a jamais  prétendu être un Etat fédéral. Or  à Bruxelles, on fait comme en France et même pire : au nom d’une fumeuse Europe des régions, l’échelon central  ne cesse de doubler les Etats  pour traiter directement avec les régions, les départements, voire les  communes.
Les amateurs de  théorie  politique verront une autre raison pour laquelle   la  construction européenne  ne saurait être fédérale. Jean-Jacques Rousseau   l’a dit : plus  une entité politique est vaste  – et diverse  -, plus elle doit être centralisée : un Empire plus qu’un royaume, un royaume plus que de  petites    républiques  comme celles qui composent la  Suisse.  Barroso, ancien président de la Commission qui s’y connait,  qualifiait, on s’en   souvient,  l’Europe d’ « empire non impérial » : empire quand même.
Mais l’Europe est  plus qu’un  empire : c’est une création  idéologique destinée à refaire l’homme européen en vue de  l’arracher aux démons du passé que s’appellent nationalisme, chauvinisme,  protectionnisme. Or les idéologues sont gens méfiants : comme les  dévots  soumis à la tentation, ils se sentent assiégés par  ces  démons du passé qu’ils veulent combattre  mais qui renaissent toujours, qu’ils qualifient de  populismes. Face à cette montée inexorable des oppositions, il est hors de  question  qu’ils laissent, comme on le fait dans une véritable  fédération,   la bride sur le cou aux échelons inférieurs : qui sait ce qui qu’ils pourraient en faire ?  Une  vraie  fédération repose sur la confiance ; or   la construction européenne, dont Jean-Claude Juncker a rappelé qu’elle ne saurait être démocratique, est  fondée, dès le départ, parce qu’idéologique, sur  la méfiance.
La souveraineté n’est pas une secte
Et les souverainistes ? C’est un peu pareil mais à l’envers. Là aussi De Gaulle se garda  bien d’employer ce mot. Ce  sont des patriotes  eux-mêmes qui l’ont importé du Canada. Généralement  chatouilleux sur la francophonie, ils ont adopté  un mot qui n’était pas du bon  français. Affrontés à tous  les  partisans d’une Europe idéologique qui les accusent d’archaïsme, il leur  fallait encore s’affubler d’un nom qui évoque,  que nos amis Canadiens  ne nous en veuillent  pas, l’ homme des bois. Comme ces victimes affligées du syndrome de  Stockholm tendent  le cou au bourreau, ils ont voulu   faciliter la tâche à leurs adversaires  lesquels  ont eu beau jeu  de disqualifier ce vocable. Bravo la com. !
Mais il y a une autre raison, plus fondamentale, pour  dire que c’est un mauvais mot : la souveraineté n’est  qu’un autre nom de la liberté, collective au lieu d’être individuelle.  Or la liberté n’est pas une secte, elle est une évidence. Je ne me qualifie pas de libéral du simple fait  que  je suis attaché à ma liberté individuelle. Pas davantage  un Européen légitiment attaché à la souveraineté   nationale n’a pas à se dire souverainiste.  Il est dans l’ordre naturel de choses et cela lui suffit.   Laissons les ismes au camp  adverse.
Roland Hureaux


Ancien élève de l'Ens et de l'Ena, essayiste, Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes. Il tient un blog dont est issu la présente tribune, sur http://roland.hureaux.over-blog.com/

Bibliographie
:
  • Un avenir pour le monde rural (Pouvoirs locaux, 1993) ;
  • Pour en finir avec la droite (Gallimard, 1998) ;
  • Les hauteurs béantes de l’Europe - la dérive idéologique de la construction européenne (éditions François-Xavier de Guibert, 2000, réédité en 2007) ;
  • Le temps des derniers hommes, le devenir de la population dans les sociétés modernes, préface de Jacques Dupâquier (Hachette, 2000) ;
  • Les nouveaux féodaux, l’erreur de la décentralisation (Gallimard, 2004) : critique de la décentralisation ;
  • Jésus et Marie Madeleine (Perrin, 2005, traduit en espagnol, russe et coréen) ;
  • L’actualité du gaullisme, cinq études sur les idées et l’action du général de Gaulle, préface de Jean Charbonnel (éditions François-Xavier de Guibert, 2007) ;
  • L’Antipolitique - peut-on avoir une classe politique encore plus nulle ? (Privat, 2007) ;
  • La grande démolition, la France cassée par les réformes (Buchet-Chastel, 2012).
  • Gnose et gnostiques des origines à nos jours (Desclée de Brouwer, 2015).
  • D'une crise à l'autre (Perspectives libres, 2017).
Il a coordonné les ouvrages collectifs :
  • De droite, la famille ? (Corlet, 1998) ;
  • France-Allemagne : un tandem en panne ? (Corlet, 2001) ;
  • Après l’Europe de Bruxelles, une France libre dans une communauté d’Etats souverains (avec Michel Robatel, éditions François-Xavier de Guibert, 2011).
 
 
 

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