Immense ouvrage en tubes d'acier évoquant des fourches entrelacées, qui orne le grand hall devant l'hémicycle du Parlement européen à Bruxelles. "C'est le fruit des noces affreuses de Kafka et Staline" commenta un jour un fameux député vendéen souverainiste au Parlement européen... (photo : L'ObsE)
par Georges Berthu
Constatant il y a dix ans la dégradation de notre économie, je déclarais déjà dans l’enceinte du Parlement européen, le 15 mai 2003 : « Dans cette situation, il y a aussi des responsabilités européennes … : l’idéologie de l’ouverture à tous crins, qui devait aiguillonner les réformes , et qui en réalité déstabilise les sociétés et accroît les crispations (relire Standard & Poor’s) ; la politique pro-immigration, qui devait rajeunir la société et en réalité accroît ses charges et la désintègre ; l’euro lui-même, qui a supprimé les fluctuations monétaires internes, mais a introduit en même temps de nouvelles rigidités d’autres natures qui pèsent sur la croissance …».
L’ouverture forcée aux flux d’hommes et de marchandises, l’imposition de politiques aventureuses comme la monnaie unique, n’ont en rien amélioré le sort de Français, en dépit des promesses. Au contraire, le taux de croissance européenne diminue tendanciellement depuis deux décennies, avec son cortège de chômage et de baisse du pouvoir d’achat pour le plus grand nombre. Et dans ce contexte, les réformes douloureuses comme par exemple le relèvement des cotisations de retraite, qui seraient facilitées si le « gâteau » s’élargissait, deviennent presque impossibles quand il se rétrécit.
Considérons maintenant la politique budgétaire. La Commission européenne veut nous fixer l’objectif de réduire les déficits, voire de les supprimer à terme, et elle a raison en principe. Mais si sa politique était vraiment appliquée dans le contexte actuel, elle nous imposerait une austérité violente. Par conséquent, regardons d’abord d’où viennent les déficits : pour partie de l’État-Providence et de l’administration pléthorique, certes, mais pour partie aussi, de la crise engendrée par l’ouverture des frontières qui désindustrialise la France, diminue les recettes fiscales et multiplie les besoins d’aides sociales. Si l’on avait accepté de maintenir des protections aux frontières, au moins provisoirement, dans les cas où nous aurions risqué d’être victimes d’un dumping social ou environnemental, nos compatriotes auraient certes subi une « austérité » puisqu’il aurait fallu payer certains produits français plus chers que leurs équivalents importés. Mais cette « austérité » aurait été légère et étalée dans le temps, comparée à l’austérité violente qui va nous être imposée bientôt, lorsque le pays aura épuisé sa capacité d’endettement et qu’il faudra rétablir les équilibres.
Quant à l’État-Providence, il faudrait l’alléger bien entendu, mais personne n’ose s’en débarrasser tant on voit bien qu’il sert aussi à soigner les plaies causées par la brutalité européenne.
Résumons : oui, une autre austérité, plus légère et plus maîtrisable, était possible. Mais Bruxelles, pour mieux obéir aux profiteurs du libre-échangisme, a choisi la politique la plus douloureuse, celle de l’ouverture brutale qui risque fort de conduire au blocage total.
Et par-dessus ces dérèglements s’ajoute une politique monétaire unifiée qui ne convient bien à la situation d’aucun pays membre. Ne revenons pas sur ce point, que nous avons déjà largement développé dans d’autres articles de ce site (1)
Dans ces conditions, prétendre que la politique européenne nous a libérés en levant des verrous aux frontières ou en unifiant les monnaies, c’est faire preuve d’une vue singulièrement courte.
En réalité, l’Union européenne, qui avait pour mission initiale de mieux protéger les peuples des États membres, s’est servie des pouvoirs qu’on lui avait confiés pour mener des politiques qui ont démoli les nations en laissant leurs citoyens à découvert. Sur cet objectif de démolition, elle a réussi l’alliance des fédéralistes, partisans du super-État, et des libéraux utopiques, partisans du libre-échangisme et de l’abolition des frontières. Ce tour de force politique, bâti sur une incroyable ambigüité, lui a permis de se développer jusqu’ici, mais il a produit ces politiques déséquilibrées, destructrices, qui mènent le système à sa ruine. (2)
La politique d’ouverture des frontières au commerce dérégulé, la subordination des démocraties nationales aux directives des eurocrates, la promotion d’une « démocratie européenne » factice, l’accueil d’une immigration sans limite, la mise en place du carcan de la monnaie unique, toutes ces politiques et tant d’autres ont produit une Europe malade, plongée dans une crise qui n’en finit pas.
Certes, il y a des pays qui s’en sortent mieux que nous. Les Allemands ont eu la discipline de s’imposer des sacrifices en termes de pouvoir d’achat, de temps de travail, de gestion scrupuleuse. Mais leurs orientations générales sur le libre-échangisme, l’immigration ou la monnaie unique, sont aussi mauvaises que celles de la France, puisqu’elles viennent de la même source. Pour le moment, ils résistent mieux et même profitent de notre chute. Mais leur tour viendra un peu plus tard. Et en fin de compte le système européen les désintègrera également, à moins qu’ils ne se décident in extremis à le changer.(3)
Les peuples des pays membres de l’Union doivent comprendre qu’ils souffrent aujourd’hui d’un système européen profondément différent de ce qui avait été conçu à l’ origine. Les fondateurs voulaient une « communauté » qui allait nous rendre plus forts en alliant des souverainetés nationales à des institutions communes. Mais au fil de traités incompréhensibles, le pilier « souverainetés nationales » a été effacé peu à peu, et avec lui la démocratie. Les peuples sont tombés sous la coupe d’un système qui n’a rien à faire de leurs souffrances, et qui invente par conséquent des politiques aberrantes. Pour en sortir, il faudra que se dressent en même temps des oppositions très fermes dans la plupart des pays européens.
Georges Berthu
Ancien député européen
L’ouverture forcée aux flux d’hommes et de marchandises, l’imposition de politiques aventureuses comme la monnaie unique, n’ont en rien amélioré le sort de Français, en dépit des promesses. Au contraire, le taux de croissance européenne diminue tendanciellement depuis deux décennies, avec son cortège de chômage et de baisse du pouvoir d’achat pour le plus grand nombre. Et dans ce contexte, les réformes douloureuses comme par exemple le relèvement des cotisations de retraite, qui seraient facilitées si le « gâteau » s’élargissait, deviennent presque impossibles quand il se rétrécit.
Considérons maintenant la politique budgétaire. La Commission européenne veut nous fixer l’objectif de réduire les déficits, voire de les supprimer à terme, et elle a raison en principe. Mais si sa politique était vraiment appliquée dans le contexte actuel, elle nous imposerait une austérité violente. Par conséquent, regardons d’abord d’où viennent les déficits : pour partie de l’État-Providence et de l’administration pléthorique, certes, mais pour partie aussi, de la crise engendrée par l’ouverture des frontières qui désindustrialise la France, diminue les recettes fiscales et multiplie les besoins d’aides sociales. Si l’on avait accepté de maintenir des protections aux frontières, au moins provisoirement, dans les cas où nous aurions risqué d’être victimes d’un dumping social ou environnemental, nos compatriotes auraient certes subi une « austérité » puisqu’il aurait fallu payer certains produits français plus chers que leurs équivalents importés. Mais cette « austérité » aurait été légère et étalée dans le temps, comparée à l’austérité violente qui va nous être imposée bientôt, lorsque le pays aura épuisé sa capacité d’endettement et qu’il faudra rétablir les équilibres.
Quant à l’État-Providence, il faudrait l’alléger bien entendu, mais personne n’ose s’en débarrasser tant on voit bien qu’il sert aussi à soigner les plaies causées par la brutalité européenne.
Résumons : oui, une autre austérité, plus légère et plus maîtrisable, était possible. Mais Bruxelles, pour mieux obéir aux profiteurs du libre-échangisme, a choisi la politique la plus douloureuse, celle de l’ouverture brutale qui risque fort de conduire au blocage total.
Et par-dessus ces dérèglements s’ajoute une politique monétaire unifiée qui ne convient bien à la situation d’aucun pays membre. Ne revenons pas sur ce point, que nous avons déjà largement développé dans d’autres articles de ce site (1)
Dans ces conditions, prétendre que la politique européenne nous a libérés en levant des verrous aux frontières ou en unifiant les monnaies, c’est faire preuve d’une vue singulièrement courte.
En réalité, l’Union européenne, qui avait pour mission initiale de mieux protéger les peuples des États membres, s’est servie des pouvoirs qu’on lui avait confiés pour mener des politiques qui ont démoli les nations en laissant leurs citoyens à découvert. Sur cet objectif de démolition, elle a réussi l’alliance des fédéralistes, partisans du super-État, et des libéraux utopiques, partisans du libre-échangisme et de l’abolition des frontières. Ce tour de force politique, bâti sur une incroyable ambigüité, lui a permis de se développer jusqu’ici, mais il a produit ces politiques déséquilibrées, destructrices, qui mènent le système à sa ruine. (2)
La politique d’ouverture des frontières au commerce dérégulé, la subordination des démocraties nationales aux directives des eurocrates, la promotion d’une « démocratie européenne » factice, l’accueil d’une immigration sans limite, la mise en place du carcan de la monnaie unique, toutes ces politiques et tant d’autres ont produit une Europe malade, plongée dans une crise qui n’en finit pas.
Certes, il y a des pays qui s’en sortent mieux que nous. Les Allemands ont eu la discipline de s’imposer des sacrifices en termes de pouvoir d’achat, de temps de travail, de gestion scrupuleuse. Mais leurs orientations générales sur le libre-échangisme, l’immigration ou la monnaie unique, sont aussi mauvaises que celles de la France, puisqu’elles viennent de la même source. Pour le moment, ils résistent mieux et même profitent de notre chute. Mais leur tour viendra un peu plus tard. Et en fin de compte le système européen les désintègrera également, à moins qu’ils ne se décident in extremis à le changer.(3)
Les peuples des pays membres de l’Union doivent comprendre qu’ils souffrent aujourd’hui d’un système européen profondément différent de ce qui avait été conçu à l’ origine. Les fondateurs voulaient une « communauté » qui allait nous rendre plus forts en alliant des souverainetés nationales à des institutions communes. Mais au fil de traités incompréhensibles, le pilier « souverainetés nationales » a été effacé peu à peu, et avec lui la démocratie. Les peuples sont tombés sous la coupe d’un système qui n’a rien à faire de leurs souffrances, et qui invente par conséquent des politiques aberrantes. Pour en sortir, il faudra que se dressent en même temps des oppositions très fermes dans la plupart des pays européens.
Georges Berthu
Ancien député européen
(1) Par exemple du 6 septembre 2011 « La vraie nature de la crise » ou 17 juillet 2013 « A la fin d’un système monétaire rigide devra correspondre la fin d’une Europe rigide ».
(2) Voir article du 15 juin 2013 « Jimmy Goldsmith, le libre échange et la protection légitime » sur www.observatoiredeleurope.com
(3) Les Allemands de l’Est se sont montrés si sérieux et travailleurs qu’ils ont presque réussi à faire marcher le communisme. Plus tard, on pourra dire la même chose au sujet de l’Allemagne réunifiée face au libéralisme utopique de la Commission européenne.