L'OBSERVATOIRE DE L'EUROPE
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Jeudi 11 Avril 2019

La désunion européenne d'aujourd'hui est le fruit d’un déni historique, par Philippe de Villiers


"Où est donc passé le professeur libre d’esprit et de plume ?" interroge Philippe de Villiers dans une tribune publiée dans Le Monde du 10 avril. Il entend ici répondre point par point aux violentes critiques suscitées par son livre et ses 111 pages d'archives : "J'ai tiré sur le fil du mensonge et tout est venu". Parmi les critiques, celles d'un collectif d'universitaires qui a publié une tribune le 27 mars dans Le Monde, ainsi qu'une Note diffusée par la représentante à Paris de la Commission européenne, quelques jours plus tôt. Un ouvrage polémique qui continue de caracoler en tête des ventes.

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Photo : capture d'écran (Fayard)

"Personne jusqu’ici ne m’a contredit sur le fond. J'affirme que nous ne sommes pas devant un rêve européen qui aurait mal tourné, mais un vice constitutif qui déploie ses effets."

Un collectif d’universitaires a publié dans Le Monde du 27 mars une tribune en riposte à mon dernier livre « J’ai tiré sur le fil du mensonge et tout est venu ». Il le qualifie de complotiste, tout en expliquant que les pièces inédites que je publie seraient bien connues, et m’attaque pour des propos que je n’ai pas tenus. Ce faisant, il reprend la ligne de la note officielle que vient de diffuser la Commission européenne contre de mon livre. Où est donc passé le professeur libre d’esprit et de plume ? Où se cache-t-il, parmi les titulaires des 500 chaires Jean Monnet, 1500 séminaires et autres modules subventionnés, celui dont les travaux ne reflètent pas la position de Bruxelles ? Sans soutien institutionnel, une idéologie ne tient pas. J’affirme, moi, que les crises multiples, la montée d’un climat insurrectionnel et la désunion européenne d’aujourd’hui sont le résultat d’un déni historique.
Le choix de faire l'Europe par l'intégration plutôt que la coopération fût imposé par le Département d'Etat américain. Il fût porté avec conviction par trois personnalités - Monnet, Schuman et Hallstein - qui avaient pour points communs de haïr de Gaulle, vouloir une Europe postnationale et atlantiste, et de s’être diversement compromis avant 1945.
 
On m’invente d’abord des propos. Je n’ai ainsi jamais écrit que la construction européenne serait d’inspiration nazie. Je dis que le choix de faire l’Europe par l’intégration plutôt que par la coopération était celui exigé par le Département d’État américain. Il fut porté avec conviction par trois personnalités - Monnet, Schuman et Hallstein - qui avaient pour points communs de haïr de Gaulle, vouloir une Europe postnationale et atlantiste, et de s’être diversement compromis avant 1945. De même, je n’ai jamais dit que Hallstein avait eu sa carte au parti nazi. J’affirme en revanche qu’il a bien volontairement et précocement adhéré à la Ligue nazie des enseignants et à la Fédération des juristes nazis. Il a collaboré avec le ministre Hans Frank à la nazification juridique, au rapprochement avec le droit fasciste et aux bases d’un Reich européen. Enfin et contrairement à la plupart de ses collègues, il fût choisi comme Officier instructeur en national-socialisme, sorte de commissaire politique dans la Wehrmacht. Où sont-ils, les indignés ? Pourquoi a-t-il été sélectionné pour être « rééduqué » à Fort-Getty en 1945, nommé Recteur à Francfort en 1946, négocier les traités puis présider la Commission ?
 J’ignorais décidément tout ce qu’une historiographie officielle avait oublié de nous dire

Les cosignataires expliquent ensuite que mon livre n’apporte, à leurs yeux, rien de nouveau. Pour ma part, j’ignorais que certains articles des traités de Paris et de Rome avaient été rédigés à l’ambassade des États-Unis à Paris. J’ignorais que le choix des présidents de la CECA, d’Euratom et de la CEE était validé à Washington. J’ignorais que c’est une agence américaine qui servit de modèle à la Haute Autorité devenue la Commission, ou que la méthode Monnet des « petits pas » avait été inventée par l’école fonctionnaliste américaine. J’ignorais qu’un autre récit des origines de l’intégration européenne se nichait dans une vingtaine de boites d’archives conservées en Californie, dans le Missouri et en Suisse. J’ignorais que la « Fondation Ford » faisait autre chose que de la philanthropie et qu’il existât un American Committee for United Europe ouvertement dirigé par les patrons de la CIA, finançant diverses opérations en Europe jusqu’en 1960. J’ignorais que les Mémoires de Monnet n’étaient pas de Monnet et résultaient d’une commande d’outre-Atlantique. J’ignorais que Monsieur Schuman, contrairement à de très nombreux Lorrains dont ceux de ma propre famille, s’était toujours trompé de camp, en 1914 comme en 1940. J’ignorais que Jean Monnet avait été d’abord un banquier d’affaires sauvé de plusieurs faillites par ses amis de Wall Street ou qu’il s’était marié à Moscou au moment des purges staliniennes. J’ignorais qu’il avait tenté d’empêcher l’appel du 18 juin à la BBC et recommandé, dans une note au conseiller de Roosevelt en 1943, de « détruire de Gaulle ». J’ignorais que deux de ses collaborateurs avaient trouvé la panoplie sémantique de la supranationalité à Uriage, sous Vichy. J’ignorais décidément tout ce qu’une historiographie officielle avait oublié de nous dire.
Toutes les tentatives d’Europe européenne furent torpillées, du Plan Fouchet en 1962 à la confédération européenne de Mitterrand en 1991. Objectif atteint : l’Europe est un nain politique, économique et stratégique, une simple escale vers Globalia.
 
Enfin, on me dit que le contexte de la guerre froide justifierait tout. Non, la lutte anti-communiste n’impliquait nullement de se soumettre à une puissance étrangère quelle qu’elle fût. De Gaulle était anti-communiste et œuvra toute sa vie pour une Europe européenne, et non pas américaine, selon la devise « amis, alliés et non-alignés ». Pourquoi Monnet et Schuman recevaient-ils, eux, des versements américains tenus secrets si la cause était noble ? Pourquoi y a-t-il eu des contreparties, des rapports d’activité ? Il s’agissait d’effacer toute trace de souveraineté en Europe, pour en faire un pur marché ouvert à la surproduction américaine, non plus gouverné mais administré par une Commission supranationale. Les tentatives d’Europe européenne furent torpillées, du Plan Fouchet en 1962 à la confédération européenne de Mitterrand en 1991. Objectif atteint : l’Europe est un nain politique, économique et stratégique, une simple escale vers Globalia.
 
Personne jusqu’ici ne m’a contredit sur le fond. Ce n’est pas le rêve européen qui aurait mal tourné, mais un vice constitutif qui déploie ses effets. Oui, entre la nation et l’empire, le choix de la nation eût été plus sage. Entre l’équilibre et l’hégémonie, il faut préférer l’équilibre. Ce n’était pas le cas de ces pères-fondateurs qui façonnèrent l’Europe selon leur conception saint-simonienne, mercantiliste et globaliste. Le mythe d’une « Europe européenne » soi-disant bâtie contre le retour du Mal, que l’on a vendu à chaque génération depuis soixante ans pour saborder les frontières et les souverainetés relève, lui, du conspirationnisme. Je comprends que beaucoup voient l’idéal et la certitude de toute une vie universitaire ou militante s’effriter devant les faits et documents que je publie. Ce livre ferme un cycle d’enseignement idéologique. Il est la réponse aux gardiens d’un Temple qui se fissure de toutes parts. A ce Moloch sans corps, sans âme, sans racines et sans postérité, j’oppose l’urgence de l’Europe véritable, celle des nations et de la civilisation européennes. L’Europe véritable exige la vérité.

​*Philippe de Villiers est écrivain, ancien ministre, fondateur du Puy du Fou

Source : https://www.lemonde.fr/

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