L'OBSERVATOIRE DE L'EUROPE
Forum d'analyse et d'opinions pour un débat libre sur la construction européenne
Vendredi 24 Mai 2019

Affaire Hallstein : une historienne met en cause "l'honneur professionnel" des défenseurs de l'ancien président de la Commission


Professeur émérite d'histoire contemporaine à Paris 7, Annie Lacroix-Riz a vu rouge en découvrant les tribunes d'universitaires dans Le Monde des 27 mars et 17 avril, défendant notamment le passé de Walter Hallstein, contre les révélations et documents de l'ouvrage de Philippe de Villiers ("J'ai tiré sur le fil du mensonge…" Fayard). Walter Hallstein, "père-fondateur" des communautés européennes et premier président de la Commission européenne a manifestement menti sur la réalité de ses différents engagements nazis sous le IIIème Reich, avant d'être fait prisonnier par les Américains en Normandie, "rééduqué" dans un fort militaire de Rhode Island et recyclé, comme tant d'autres élites allemandes, par les Etats-Unis. Bien que politiquement hostile à Philippe de Villiers, Annie Lacroix-Riz qui connaît bien cette période et les archives historiques où ne vont jamais tant de ses confrères, vient de publier une série de six longs articles cinglants et ultra-documentés (sur le blog les-crises.fr), véritable essai en six volets, par lesquels, tout en égratignant à souhait l'écrivain trop souverainiste à son goût, elle confirme, renforce et complète toutes les révélations de Villiers sur les compromissions de Jean Monnet, Robert Schuman et Walter Hallstein. Elle cible l'argumentation "pitoyable" de ses confrères universitaires qui ont minoré ainsi la portée de l'adhésion de Hallstein à quatre organisations nazies : "Rapportés à l’inépuisable historiographie allemande sur le nazisme en général, sur la profondeur du nazisme du monde académique en particulier – sans oublier celui de tous les types de dirigeants ouest-allemands de l’après-guerre , ils sont pitoyables. Oser qualifier, dans une deuxième « tribune », de simple « non-résistant » un nazi précoce, caractéristique générale de son milieu, et qui a apporté son soutien à l’expansionnisme allemand jusqu’au terme d’une guerre d’extermination nommé NSFO en 1944 souligne, d’une part, l’ampleur de la destruction de l’histoire des années 1920-1950 à laquelle ont participé directement et au premier chef les historiens européistes et, d’autre part, la pertinence de l’accusation portée contre leur honneur professionnel" tranche le professeur Lacroix-Riz.

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Walter Hallstein, premier président de la Commission européenne et, avant 1945 : "hitlérien précoce, autant et plus que tous ses pairs en poste" selon Annie Lacroix-Riz

Sixième volet du dossier de Annie Lacroix-Riz : "Europe: l’académisme contre l’Histoire" en réponse aux tribunes des "historiens européens" du 27 mars et 17 avril

À propos de Walter Hallstein, Philippe de Villiers manifeste un étonnement surprenant, vu la connaissance qu’il a forcément accumulée, au cours de sa longue carrière politique, sur les dirigeants ouest-allemands. Mais il fournit un dossier sérieux, assez solide d’ailleurs pour susciter une particulière indignation des rédacteurs du 27 mars, mêlée d’aveux rageurs le 17 avril.
 
L’historiographie anglophone et allemande y compris, et dès l’immédiat après-guerre, sa fraction est-allemande, riche en historiens curieux du passé nazi du Reich1. a établi de longue date que la « nouvelle Allemagne » avait été constituée, sous la tutelle de l’AMGOT, de la quasi-totalité des élites qui avaient dirigé le Reich tant avant que pendant l’ère nazie; et que le Vatican et Washington s’étaient associés pour assurer un exceptionnel sauvetage-recyclage des criminels de guerre2. La règle de maintien du statu quo, annoncée par l’épisode du « Quisling » Darlan à Alger, en novembre-décembre 1942, et par les tractations bernoises d’Allen Dulles et de son entourage nazi ou nazifié fut aussi absolue en Allemagne occidentale que dans toute la sphère d’influence occidentale3. L’habitude de la non-traduction des ouvrages pourtant multipliés depuis les années 1950, le silence de plomb qu’observe sur eux l’historiographie dominante4. et l’enterrement des rares travaux français sur la question expliquent seuls que la population française soit largement tenue dans l’ignorance du phénomène.

On arguera qu’Alfred Wahl a produit, en 2006, une excellente synthèse sur la complète continuité économique, administrative, politique, culturelle entre Allemagne hitlérienne et RFA. Cet ouvrage, La seconde histoire du nazisme dans l’Allemagne fédérale depuis 1945, explicite sur les « ministres et secrétaires d’État d’Adenauer » malgré d’évidentes prudences et pudeurs, dont Walter Hallstein a d’ailleurs bénéficié5 , a fait l’objet, son auteur me l’a encore rappelé très récemment, d’un silence médiatique assourdissant qui a considérablement entravé sa diffusion. Il mériterait pourtant de figurer dans toute bibliographie de base sur la RFA.
 
Un hitlérien précoce, autant et plus que tous ses pairs en poste

« Oui, à l’époque d’Hitler », concèdent nos « éminents historiens européens », Walter Hallstein « avait adhéré à la Fédération nationale-socialiste des juristes, sans laquelle il était impossible d’avoir un poste » adhésion, donc, érigée en modeste « carte du pain » (tessera del pane, selon l’expression italienne désignant la carte du parti fasciste), concernant une profession anti-républicaine et nazifiée bien avant 1933, notoire pour la profondeur de son attachement au régime – « et [il] avait été membre d’une autre association professionnelle, la Ligue nationale-socialiste des professeurs. » Ils ont ainsi fortement réduit (à deux) la liste des groupements nazis dont Hallstein était membre, et censuré la chronologie de leur fondation (souvent antérieure à 1933) et des adhésions du juriste.

Or, la liste (d’ailleurs non exhaustive) de Philippe de Villiers provient de l’excellent dictionnaire d’un des spécialistes allemands du IIIe Reich, Ernst Klee. Disponible depuis 2003, non traduit (« Qui était qui avant et après 1945 »), ce Who’s who comporte « près de 4 300 noms » importants du panthéon hitlérien, dont la carrière s’est presque toujours poursuivie, voire enrichie « après 1945 »6. : Hallstein y figure, sur une fiche que j’ai moi-même mentionnée à son sujet en 20167Carcan, note 4, p. 120. , puisée, selon l’usage, à des travaux de recherches appuyés sur des sources originales : ici Klee se réfère à deux spécialistes des universités de l’époque nazie, Notker Hammerstein et Helmuth Heiber.

Hammerstein, dans son ouvrage consacré à l’université Goethe de Francfort, qui nomma Walter Hallstein non seulement « professeur titulaire de droit commercial, droit du travail et droit économique en 1941 », mais aussi « doyen »8 , présente trois des organisations hitlériennes auxquelles il appartenait :

1° le « NS-Luftschutzbund », c’est-à-dire à l’« Union national-socialiste de protection anti-aérienne », organisation sans lien spécifique avec le Droit mais strictement militaro-nazie;

2° la « NSV », sigle de la « Nationalsocialistische Volkswohlfart », c’est-à-dire l’« Union national-socialiste du bien-être du peuple », aussi incontestablement nazie et aussi peu humanitaire que le très vichysto-collaborationniste Secours national9 . Elle avait, sous ces mêmes sigle et titre, été fondée avant l’arrivée au pouvoir, « en 1932 », et seulement pour promouvoir d’hyper-protégés nazis comme le précisa la suite : elle fut « reconnue par ordonnance d’Hitler du 3 mai 1933 comme organisation interne du NSDAP », chargée de l’« aide strictement réservée aux camarades du peuple d’esprit national-socialiste particulièrement précieux »;

3° ce que nos « éminents historiens européens » appellent la « Fédération nationale-socialiste des juristes », c’est-à-dire le « NS-Rechtswahrerbund », nouveau nom, « à partir de 1936, de la Ligue national-socialiste des juristes allemands » : c’est-à-dire du Bund nationalsocialistischer deutscher Juristen (BNSDJ), « organisation professionnelle du NSDAP fondée en 1928 par Hans Frank »10. Frank, nazi de longue date et juriste suprême du IIIe Reich, fut entre autres gouverneur général de la Pologne occupée, condamné à mort à Nuremberg et exécuté le 10 octobre 194611. Il avait été dès l’avant-guerre un incontestable protecteur d’Hallstein12 .

Le parti s’opposa même à la nomination [d’Hallstein] à la chaire de droit comparé de l’université de Francfort, en 1941 », arguent nos « éminents historiens européens ». C’est curieux, puisqu’aux spécialités susmentionnées du professeur s’ajouta « le droit comparé », selon sa fiche publiée par la très officielle fondation Konrad Adenauer, vouée à « l’histoire de la CDU »13 . Il en fut alors élu professeur et doyen, comme précisé ci-dessus. Les signataires de la « tribune » se sont fiés aux « recherches de l’historien allemand Thomas Freiberger », qui affirme, entre autres, qu’Hallstein « ne fut jamais membre du parti national-socialiste ». Villiers a découvert aux archives fédérales d’Allemagne, la carte n° 310212 d’Hallstein, délivrée en juillet 1934, du « NS-Lehrerbund » une des deux seules concédées par nos historiens , et il en fournit copie14. Le NSLB n’était pas moins indiscutablement nazi que les « ligues » précédentes : « fondée en 1929, [cette] association rattachée au NSDAP » avait pour siège la « maison d’éducation [national-socialiste de] Bayreuth »15

De fait, « les [cosmétiques] recherches de l’historien allemand Thomas Freiberger » se bornent sur le sujet à une communication complaisante de 2010 de moins de 40 pages, significativement intitulée « Le révolutionnaire pacifique : la perception du moment par Walter Hallstein ». Exaltant sa mission de père de l’Europe, elle provient d’un ouvrage officiel et européiste, strictement de seconde main, ne traitant que de l’« après 1945 », publié par Gruyter 16 dans le cadre de l’officielle série italo-allemande à financement européiste17 . Freiberger, « collaborateur scientifique de la section d’histoire du temps présent de l’institut historique de l’université de Bonn », travaille exclusivement sur « l’histoire des relations internationales pendant la Guerre froide, l’histoire de l’OTAN dans les années 1950, l’histoire de la politique extérieure américaine et l’histoire des idées de l’intégration européenne ». Il a, en 2010 aussi, été le contributeur (en 20 pages) d’un ouvrage sur la politique extérieure américaine depuis les années 195018 et l’auteur d’un ouvrage sur « la crise de Suez » de 1956, tiré de sa thèse19 : cet article et ce livre sont dépourvus de tout rapport avec la carrière de Walter Hallstein avant et sous Hitler. La référence à Freiberger, en l’absence des spécialistes des universités de l’ère nazie, relève donc de l’escroquerie intellectuelle.

Reste une autre et quatrième « organisation professionnelle », directement liée à une des trois précédentes, « l’Union national-socialiste des assistants allemands [Nationalsozialistischer Deutscher Dozentenbund] », un des « départements du parti » avec lesquels Hallstein certifiait avoir, comme « avec tous […] travaillé sans problème » : il fit même valoir son attachement particulier à ce NSDDB à l’appui de sa candidature « à [l’université de] Francfort », selon Helmuth Heiber, vrai spécialiste, lui, des « Universités sous la Croix gammée », et seconde source d’Ernst Klee, également citée par Villiers20 . Hallstein était fidèle, assurément, au NSDDB puisqu’il en était membre, ainsi que de trois autres organisations nazies : « comme de nombreux juristes », euphémise la fondation Adenauer, qui recense ces quatre associations nazies dans sa fiche minimaliste sur le grand homme au cursus exceptionnel avant mai 1945, sous le titre « Un juriste à l’intelligence acérée »21 (il avait été nommé docteur et assistant en 1925, cinq ans avant d’être élu professeur de Droit privé et social à Rostock dès 1930, à l’âge de 29 ans, le plus jeune d’Allemagne22 ) .

Cette association d’assistants était une branche du « NS-Lehrerbund » lui-même fondé, rappelons-le en 1929. C’était un fief hitlérien qui, comme l’a confirmé l’inépuisable bibliographie allemande sur les intellectuels nazis23 , garantissait que seuls les nazis agréés pussent, et ce officiellement depuis 1933, soutenir leur thèse puis faire l’objet d’une nomination universitaire. La qualité nazie du NSDDB ne cessa d’être mise en valeur par le régime, comme l’a rappelé Klee : « jusqu’en 1935, il n’était ouvert qu’aux membres du parti » et fut promu le 24 juillet 1935 en « division du NSDAP […]. Pour y adhérer était exigée la caution de deux nationaux-socialistes éprouvés. Le NSDDB siégeait avec droit de vote au Sénat de l’université et détenait un droit de veto sur les procédures de nomination et d’habilitation » des universitaires24 .
 
Nazi et militariste : Hallstein NS-Führungsoffizier

L’enthousiasme nazi et militariste de Walter Hallstein éclate d’ailleurs jusque dans les notices les plus officielles, telle celle que l’université de Rostock a consacrée à son professeur en poste de 1930 à 1941 : doyen adjoint, Hallstein avait en 1935 « intégré un service militaire volontaire dans l’artillerie » (pourquoi, pour préparer la paix européenne?). Ce brûlant militarisme lui avait valu le poste en titre de doyen de Rostock dès 1936, abandonné, on l’a vu, pour Francfort, université plus prestigieuse, en 194125 . Avant d’être, selon la fondation Adenauer, « appelé au service militaire, [où] il servit en 1942 comme lieutenant dans le Nord de la France »26 .

C’est « ce croyant » passionné (par opposition aux sceptiques, « opposants ou indifférents », selon Heiber, que l’université de Francfort fit figurer sur la courte liste (« quinze hommes ») précisément soumise, « au début de 1944 », au NSDDB – juge suprême en la matière « comme NS-Führungsoffizier avec rang d’officier »27, terme intraduisible en français.

Le NS-Führungsoffizier (NSFO), incarnant la Weltanschauung nazie, avait « pour mission de renforcer la volonté des soldats de tenir jusqu’au bout » dans une guerre généralisant au front de l’Ouest, depuis le tournant de 1943 les méthodes d’extermination d’emblée appliquées dans les Balkans et sur le front de l’Est. Il était « chargé à la fois de la direction militaire spécialisée et de la formation politique et idéologique nazie dans l’esprit du national-socialisme », c’est-à-dire largement tournée vers l’extermination des rouges et des juifs « parasites du monde »28 . Notons qu’Hallstein exerça ses talents de NSFO en France, où l’armée américaine l’arrêta (à Cherbourg), arrestation qui marqua le début de sa reconversion américaine, d’apparence spectaculaire mais tout à fait banale pour les élites des gouvernements Adenauer et Ludwig Ehrard (chancelier successeur en 1963 d’Adenauer après avoir été depuis 1949 son ministre des Affaires économiques, autre homme de confiance des milieux financiers, au passé nazi aussi avéré que ses pairs29 . On ignore donc ce qu’Hallstein fit en France de 1942 à 1944, mais assurément il n’y enseigna pas seulement le Droit nazi.

On peut reprocher à Villiers l’ignominie de la comparaison entre les criminels nazis et les « commissaires de l’armée rouge » cible communiste initiale et prioritaire, on le sait, de l’entreprise génocidaire allemande en URSS décidée avant l’opération Barbarossa30. On ne saurait l’accuser d’avoir, à propos du nazi Walter Hallstein, mal traduit Klee et ses sources académiques.


Conclusion

Deux des signataires de la première tribune ne s’en sont pas moins entêtés, le 17 avril, à défendre Hallstein, en minorant la portée de son adhésion à deux des quatre organisations nazies auxquelles il avait assurément appartenu et en imputant à Villiers une malhonnêteté complotiste sur le sujet (comme sur Monnet et Schuman) : « Que Hallstein fut (sic) membre de la Ligue national-socialiste des professeurs et de la Fédération national-socialiste des juristes (non d’une “Fédération des juristes nazis”, comme de Villiers continue de l’appeler de façon trompeuse) ne prouve rien, sinon son ambition de continuer sa carrière académique sous le régime. »

L’argument général avancé et les minauderies sur la place de l’adjectif sont à eux seuls sidérants. Rapportés à l’inépuisable historiographie allemande sur le nazisme en général, sur la profondeur du nazisme du monde académique en particulier – sans oublier celui de tous les types de dirigeants ouest-allemands de l’après-guerre , ils sont pitoyables. Oser qualifier, dans une deuxième « tribune », de simple « non-résistant » un nazi précoce, caractéristique générale de son milieu, et qui a apporté son soutien à l’expansionnisme allemand jusqu’au terme d’une guerre d’extermination nommé NSFO en 1944 souligne, d’une part, l’ampleur de la destruction de l’histoire des années 1920-1950 à laquelle ont participé directement et au premier chef les historiens européistes et, d’autre part, la pertinence de l’accusation portée contre leur honneur professionnel.

Car ils vont bien au-delà, ici, que ce dont les accusait l’ancien très haut fonctionnaire de Vichy et gaulliste tardif Couve de Murville : n’être pas « téméraires » et ne pas oser « publi[er] ce qu’ils ont trouvé », pour ne pas risquer de « perdre » des prébendes universitaires31 .

Ils confirment leur responsabilité dans la mise à sac de l’histoire scientifique et dans l’abdication de la mission civique qui constitue aussi le métier d’historien. Que reste-t-il, ici, du sens de la défaite allemande de mai 1945 ? En somme, à part la « menace soviétique », il n’y a rien de grave dans l’Histoire et surtout pas motif à condamner l’« ambition de continuer sa carrière académique » sous Hitler? Et en quoi la poursuite d’une carrière de policier serait-elle plus condamnable?

Villiers a, avec l’histoire américaine des Mémoires de Monnet, décrit un autre versant de cette panique préélectorale qui fait flèche de tout bois au point de faire revendiquer par des universitaires l’impossibilité d’une l’histoire scientifique « officielle » de l’Union européenne. Oui, la mission politique de l’histoire bien-pensante, incompatible avec l’indépendance à l’égard des puissants indispensable au travail historique, conduit ses représentants à violer les règles méthodologiques qui fondent leur métier.

Ce qui précède réduit à une simple envolée tactique la litanie contre le « pamphlet biaisé » et les « élucubrations [qui] portent atteinte à l’honneur des chercheurs français et européens engagés dans les études sur l’Union européenne ». Celle-ci, nous assure-t-on, « subventionne toutes sortes de travaux, y compris des recherches critiques sur la construction européenne. Personne n’est jamais venu dire aux historiens ce qu’il fallait trouver ou chercher. » Cette dernière phrase n’est pas entièrement fausse, l’autocensure parant le plus souvent à l’essentiel. Elle est incomplète, car les conditions de financement de cette recherche et les exigences des carrières, des publications à succès, de la visibilité médiatique aboutissent à « dire aux historiens ce qu’il fa[ut] trouver ou chercher. »

Non, l’Union européenne ne « subventionne [pas] toutes sortes de travaux » et elle a fait barrage, implicitement et explicitement (je puis en témoigner personnellement), à toutes « recherches critiques sur la construction européenne. » On pourra lire ailleurs des détails sur les bâtons mis dans les roues des chercheurs indépendants et sur l’incompatibilité entre « des recherches critiques » et les brillantes carrières académiques. Il ressort cependant de cette défense et illustration de l’Union européenne, en vue d’inciter le public français à croire à ses vertus et à son brillant avenir, que les « chercheurs français et européens engagés dans [d]es études sur l’Union européenne » financées par les institutions de celle-ci, « portent atteinte à [leur propre] honneur. »

L’ouverture des sources, à terme, le démontrera aussi clairement que le descriptif de l’équipée américaine des Mémoires de Monnet. À court terme, de telles démarches sont d’autant plus dommageables au prestige des « éminents historiens européens » signataires que, à ce stade de la lassitude populaire d’une Europe des Konzerne et des « trusts », elles risquent d’être vaines. En attendant, l’examen des sources dispense de polémique.


Annie Lacroix-Riz est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université Paris 7.

Source : les-crises
 

Notes   [ + ]
1. Source précoce de Gilbert Badia, Histoire de l’Allemagne contemporaine, 2 vol., 1917-1933, et 1933-1962, Paris, Éditions sociales, 1965.
2. Travaux anglophones, La Non-épuration, chap. 9, « Les Américains et “l’État de droit” contre l’épuration française »
3. Wahl, La seconde histoire; Lacroix-Riz, La non-épuration; James Miller, The US and Italy 1940-1950, the politics and diplomacy of stabilization, Chapel Hill, 1986, etc.
4. Cf. supra et Rouquet François, Virgili Fabrice, Les Françaises, les Français et l’Épuration. De 1940 à nos jours, éditions Gallimard, 2018, chap. XVI, p. 427-465.
5. Wahl, La seconde histoire, Paris, Armand Colin, 2006 passim, dont le chap. 3, « La continuité parmi les cadres et les services de l’État », p. 127-198.
6. Klee Ernst, Das Personenlexikon zum Dritten Reich. Wer war was vor und nach 1945, Francfort, Fischer-Taschenbuch-Verlag, 2007.
7. Carcan, note 4, p. 120.
8. Villiers (ou son équipe technique) n’a pas compris la référence d’ouvrage fournie par Klee à propos du premier historien, en écrivant « d’après Hammerstein (Goethe) » : désignation, entre parenthèses, habituelle dans ce dictionnaire, d’un ouvrage par un mot unique, en l’occurrence, Die Johann Wolfgang Goethe-Universität Frankfurt am Main, Von der Stiftungsuniversität zur staatlichen Hochschule. 1914–1950, Alfred Metzner Verlag, Neuwied und Frankfurt am Main, 1989, 1er vol. de 3. Liste des travaux, https://de.wikipedia.org/wiki/Notker_Hammerstein Souligné par moi, compte tenu de la réputation du droit du travail allemand de 1933 à 1945; la fiche de la fondation Adenauer (cf. infra) oublie le « droit du travail ».
9. La comparaison avec le Secours national m’appartient.
10. Trois organisations citées, fiche Hallstein, p. 221, Klee, Personenlexikon (reproduite par Villiers, J’ai tiré, document 26). Précision sur les deux dernières organisations, Klee, p. 728; sur le « NS-Luftschutzbund », https://www.google.com/search?q=NS-Luftschutzbund&tbm=isch&source=iu&ictx=1&fir=afbsL2T6K_XL1M%253A%252CTc_aMDYukzwz7M%252C_&vet=1&usg=AI4_-kQRnOZGDp-lmAaK7HOkQgskWu5KiA&sa=X&ved=2ahUKEwilrY6juvXhAhUSnhQKHSqeBl4Q9QEwBnoECAkQBA#imgdii=CcDK_wlXPzf0XM:&imgrc=afbsL2T6K_XL1M:&vet=1
11. Bibliographie, https://de.wikipedia.org/wiki/Hans_Frank
12. Les références sur Hallstein à l’appui de J’ai tiré, p. 194-197 ne prêtent pas à l’accusation de « complotisme ».
13, 26. https://www.kas.de/web/geschichte-der-cdu/personen/biogramm-detail/-/content/walter-hallstein-v1
14. J’ai tiré, p. 198, et document 27.
15. Klee, Personenlexikon, p. 728.
16. Freiberger, « Der friedliche Revolutionär: Walter Hallsteins Epochenbewusstsein », in Depkat Volker et Graglia, Piero S., dir. Entscheidung für Europa: Erfahrung, Zeitgeist und politische Herausforderungen am Beginn der europäischen Integration [Décision pour l’Europe. Expérience et défis politiques au début de l’intégration européenne], Gruyter, Berlin-New York, 2010, p. 205–242, communication citée dans https://de.wikipedia.org/wiki/Walter_Hallstein et https://en.wikipedia.org/wiki/Walter_Hallstein
17. https://www.degruyter.com/view/serial/36339. Sur la dictature européiste et ses presses officielles, L’histoire contemporaine, chap. 1 et 3.
18. Freiberger, « Freedom from fear : die republicanische Illusion der americanischen Aussenpolitik », in, Freiberger, Bormann Patrick Michel Judith, tous trois ayant même fonction à Bonn, dir., = Angst in den Internationalen Beziehungen, vol. 7 de la série Internationalen Beziehungen . Theorie und Geschichte. série des PU de l’université de Bonn, 2010, p. 295-315, présentation de Freiberger, p. 317.
19. Allianzpolitik in der Suezkrise 1956, évidemment sans avec Walter Hallstein en général, de 1925 à 1945 en particulier, PU de l’université de Bonn, 2013.
20. Heiber, Universität unterm Hakenkreuz. Der Professor im Dritten Reich: Bilder aus der akademischen Provinz, Saur, München 1991–1994, Teil 1 J’ai tiré, p. 197, référence omise ici.
21. « Jurist mit scharfem Verstand », https://www.kas.de/web/geschichte-der-cdu/personen/biogramm-detail/-/content/walter-hallstein-v1
22. Cette dernière précision https://en.wikipedia.org/wiki/Walter_Hallstein
23. Voir la bibliographie proposée par Klee, Personenlexikon, p. 701-718.
24. Klee, Personenlexikon, p. 727, sur la base, notamment, des travaux de Gehrard Aumüller et al., dir, Die Marburger Medizine Fakultät, Saur, München 2001 (et https://de.wikipedia.org/wiki/Gerhard_Aum%C3%BCller); autre bibliographie, dont Heiber https://de.wikipedia.org/wiki/Nationalsozialistischer_Deutscher_Dozentenbund,
25. http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:dl-TF9-41TUJ:cpr.uni-rostock.de/resolve/id/cpr_person_00003297+&cd=1&hl=fr&ct=clnk&gl=fr
27. Klee, Personenlexikon, p. 221, citant Heuber, Der Professor im Dritten Reich, p. 360, lui-même cité par Villiers, J’ai tiré, p. 198-199 (et n. 10, p. 290).
28. Par opposition, précisément, à la mission des « commissaires de l’armée rouge, dont la mission n’était que politique, la militaire revenant aux seuls officiers, https://de.wikipedia.org/wiki/Nationalsozialistischer_F%C3%BChrungsoffizier, notice qui n’évoque que la haine antisémite, pas celle du communisme.
29. Bower Tom, Blind eye to murder. Britain, America and the purging of Nazi Germany, a pledge betrayed, London, André Deutsch, 1981, p. 18-19.
30. Sur le « décret du commissaire » du 6 juin 1941 voué au « combat contre le bolchevisme », bibliographie, https://de.wikipedia.org/wiki/Kommissarbefehl
31. Couve de Murville, cité par Villiers, J’ai tiré, p. 19.

Europe: l’académisme contre l’Histoire
Le dossier complet ici

Plan :
– Introduction
– « D’éminents historiens européens » contre le royaliste documenté Philippe de Villiers
– Un dossier historique « biaisé » par « d’éminents historiens européens »

  • Les fallacieuses origines de l’Union européenne
  • Adenauer et les siens, de la vieille à la « nouvelle Allemagne »
  • De la France « européenne » et « résistante » contre Pétain au triomphe des vichysto-américains ?
  • L’oubli des « premières Communautés européennes »
  • Jean Monnet « l’Américain » : une calomnie ?
  • Le tandem Monnet-Schuman et la prétendue « bombe » du 9 mai 1950
  • Robert Schuman calomnié ?
  • Walter Hallstein, simple « non résistant » ?
– Conclusion

 

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