Depuis l’invasion de l’Ukraine, Moscou et Pékin affichent une solidarité affichée face à l’Occident. Sur le plan économique, leur rapprochement s’est même traduit par une explosion des échanges commerciaux. Pourtant, une récente décision douanière russe vient rappeler que derrière cette entente stratégique se cachent des tensions bien réelles.
Une alliance économique en pleine expansion
Isolée des marchés européens et américains, la Russie a trouvé en la Chine un débouché vital pour ses hydrocarbures et ses matières premières. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2023, le commerce bilatéral a atteint 240 milliards de dollars, soit plus du double de 2018 et bien au-delà de l’objectif initial fixé pour 2024.
Dans le détail, Pékin a augmenté ses exportations vers la Russie de près de 47 %, atteignant 111 milliards de dollars, essentiellement des véhicules et des biens manufacturés. De son côté, Moscou a vu ses ventes de pétrole, gaz et métaux grimper de 12,7 %, représentant 129 milliards de dollars. Résultat : un excédent commercial favorable à la Chine d’environ 18 milliards.
Aux yeux de nombreux analystes, cette interdépendance confine parfois à une vassalité économique : la Russie fournit ses ressources naturelles, tandis que la Chine inonde son voisin de produits manufacturés indispensables à son économie en guerre.
Le mobilier, un grain de sable inattendu
C’est précisément dans ce contexte d’interdépendance que Moscou a pris une décision qui surprend. En décembre, les autorités douanières russes ont imposé un tarif de 55,65 % sur certaines pièces de mobilier en provenance de Chine. Un changement de classification technique – les rails coulissants étant désormais considérés comme des roulements – a suffi pour transformer un droit de douane nul en taxe punitive.
Le bureau de Vladivostok, qui gère près de 90 % de ces importations, a orchestré cette requalification. Une décision qui frappe de plein fouet l’industrie du mobilier en Russie, largement dépendante de composants chinois. L’Association des entreprises du secteur estime que cette mesure pourrait entraîner une hausse de 15 % des coûts et provoquer des faillites en série.
Pékin face au dilemme
Pour Pékin, ce geste a tout d’un camouflet. Alors que les États-Unis menacent de nouvelles sanctions commerciales, la Chine doit désormais gérer une tension inattendue avec son partenaire le plus stratégique. La riposte pourrait venir d’un autre terrain : l’énergie.
Le projet du gazoduc Power of Siberia 2, censé livrer 50 milliards de mètres cubes de gaz russe par an à la Chine, demeure au point mort. Officiellement, des questions techniques expliquent le retard. Officieusement, l’attitude prudente de Pékin trahit une volonté de garder la main dans cette relation asymétrique.
Un partenariat fragilisé ?
L’épisode du mobilier révèle que l’alliance russo-chinoise, souvent décrite comme un bloc homogène face à l’Occident, repose sur des équilibres précaires. Si leurs intérêts convergent sur le plan géopolitique, leur relation économique demeure traversée par des rapports de force implicites.
La Russie, dépendante des débouchés asiatiques, ne peut se permettre de froisser trop ouvertement Pékin. Mais en imposant des barrières douanières sur des produits aussi sensibles, elle envoie le signal qu’elle entend préserver une marge d’autonomie, quitte à froisser son partenaire.
La Chine, elle, observe avec pragmatisme. Forte de sa position dominante, elle sait que la Russie a plus à perdre dans ce bras de fer. Mais en différant ses engagements sur le gaz, elle rappelle qu’elle dispose d’outils de pression tout aussi puissants.
En définitive, cette « lune de miel » économique pourrait bien se transformer en une relation de méfiance calculée, où chaque décision, même technique, prend une dimension géopolitique. Derrière l’image d’une alliance sans faille, Moscou et Pékin continuent de se jauger, conscients que leurs intérêts, pour convergents qu’ils soient aujourd’hui, pourraient diverger demain.



