Et si les radiateurs de demain n’étaient plus de simples appareils chauffants mais de véritables machines de calcul ? À Launaguet, en périphérie de Toulouse, un bailleur social a choisi de franchir un cap inattendu. Dans une résidence de 59 logements, il a remplacé les convecteurs classiques par des équipements à double usage : des « radiateurs numériques » capables de chauffer… tout en alimentant l’économie numérique.
Chauffer en calculant : un pari technologique et énergétique
À première vue, ils ressemblent à de simples blocs noirs, un peu massifs, surmontés de tablettes en bois. En réalité, ces « radiateurs » sont des unités de calcul informatique, des mini data centers embarqués. Lorsqu’ils sont allumés par les locataires, leurs microprocesseurs effectuent des opérations de calcul intensif, générant par la même occasion de la chaleur. Une chaleur ensuite diffusée dans les appartements, sans aucun coût net pour l’occupant. En effet, la consommation électrique de ces équipements est remboursée chaque mois, sur simple inscription auprès de l’opérateur.
Le principe est simple : le bailleur a externalisé une partie du besoin en puissance de calcul de l’entreprise Qarnot, spécialisée dans ce domaine, directement dans les logements. Cette mutualisation inhabituelle de ressources technologiques permet d’alimenter des serveurs à distance tout en assurant le chauffage domestique.
Une innovation née de la crise énergétique
Ce projet a vu le jour dans le cadre de la réhabilitation de la résidence Les Sables. Plutôt que de se contenter d’une isolation thermique classique, le bailleur social a opté pour une approche combinant performance énergétique et innovation technologique. Avec un investissement de 2 542 euros par appartement, le coût de ces équipements dépasse largement celui de radiateurs classiques. Mais grâce à une subvention « NoWatt » de la région, le surcoût a pu être amorti dans le cadre d’une expérimentation.
Et les premiers résultats sont éloquents : 75 % des locataires ont adopté cette technologie, certains allant même jusqu’à retirer les anciens radiateurs de leur logement. D’après les données recueillies sur la première année d’utilisation, l’économie moyenne atteint 293 euros par an et par foyer. Une réduction de charge non négligeable, surtout dans un contexte de hausse généralisée des prix de l’énergie.
Usages, perception et limites d’un modèle hybride
Jean-Paul, retraité et habitant de la résidence, constate les effets immédiats : ses mensualités d’électricité ont chuté de 51 à 29 euros en hiver. Et même s’il admet un certain temps d’adaptation pour gérer le déclenchement des appareils, le confort est au rendez-vous. Comme beaucoup de ses voisins, il a fini par abandonner les anciens systèmes de chauffage pour ne se chauffer qu’aux microprocesseurs.
Toutefois, tout le monde n’est pas aussi enthousiaste. Environ un quart des habitants n’utilisent pas encore ces radiateurs numériques, souvent par prudence ou par réticence à l’idée d’héberger un data center à domicile. Le bailleur, conscient de cette barrière psychologique, a entamé une campagne de pédagogie, via affiches et conciergerie, pour informer et rassurer.
Autre nuance : l’augmentation des tarifs d’électricité dans les immeubles collectifs brouille parfois la perception des économies réalisées. Même si les locataires consomment moins, leurs factures globales peuvent continuer d’augmenter, rendant l’impact du dispositif moins lisible.
Une piste d’avenir pour le logement social ?
En croisant besoins énergétiques domestiques et puissance de calcul externalisée, cette expérimentation esquisse une nouvelle voie pour le logement social. Certes, elle reste marginale à ce stade, mais elle interroge : peut-on mutualiser davantage les ressources technologiques pour répondre aux enjeux énergétiques ? Le modèle pourrait-il s’étendre à d’autres usages, ou à d’autres contextes urbains ?
La réponse dépendra de plusieurs facteurs : l’acceptabilité sociale de ces technologies, la stabilité des subventions, mais aussi l’évolution du coût de l’énergie et des besoins en puissance informatique. En attendant, à Launaguet, les locataires chauffés gratuitement vivent déjà une réalité que beaucoup considèrent encore comme futuriste.



