L’ancienne cheffe de la politique étrangère de l’UE, Federica Mogherini, a été arrêtée ce mois-ci dans le cadre d’une importante enquête pour fraude, alors que l’ex-vice-présidente du Parlement européen Eva Kaili reste dans un vide juridique trois ans après son arrestation dans le scandale de corruption de 2022.
L’arrestation de l’ancienne cheffe de la politique étrangère de l’UE Federica Mogherini au début du mois dans le cadre d’une enquête pour fraude en Belgique a soulevé de nouvelles questions sur les raisons pour lesquelles les suspects du scandale de corruption au Parlement européen n’ont toujours pas été jugés, trois ans après des arrestations qui ont choqué Bruxelles.
Mogherini, qui a dirigé le service diplomatique de l’UE de 2014 à 2019 et a ensuite été recteur du prestigieux Collège d’Europe, a été interrogé aux côtés de deux autres personnes sur des soupçons de fraude présumée en matière de marchés publics, de corruption et de conflit d’intérêts liés à un programme de formation diplomatique financé par l’UE.
La plus haute diplomate italienne, qui a finalement été libérée dans l’attente d’accusations, a depuis démissionné de son poste au Collège d’Europe.
Pendant ce temps, la longue enquête sur le scandale de corruption du Parlement européen, qui a débuté par des perquisitions à Bruxelles le 9 décembre 2022, avance à un rythme glacial.
L’eurodéputée grecque Eva Kaili est devenue le visage du scandale lorsque la police belge a révélé avoir découvert 150 000 euros en espèces – apparemment dans de grands sacs – à son domicile bruxellois lors des perquisitions.
Depuis lors, Kaili a passé les années intermédiaires dans un purgatoire légal, ou ce que certains ont depuis surnommé le « Belgiangate ».
Bruxelles secouée par l’attaque du Parlement
Les autorités ont déclaré avoir découvert un total de 1,5 million d’euros en espèces lors de l’opération de 2022, dont 600 000 euros au domicile de l’ancien député européen italien Antonio Panzeri et l’argent trouvé à la résidence bruxelloise de Kaili, qui était également l’un des 14 vice-présidents du Parlement européen à l’époque.
Alexandros, le père de Kaili, a été interpellé à l’hôtel Sofitel de la place Jourdan avec une valise contenant « plusieurs centaines de milliers d’euros », selon les autorités.
Une équipe spéciale de police accompagnée du juge d’instruction Michel Claise a ensuite perquisitionné le soir même le domicile de Kaili, l’arrêtant devant sa fille de deux ans.
Privée de son immunité parlementaire, Kaili a passé quatre mois en détention provisoire, suivie d’une assignation à résidence avec un bracelet électronique jusqu’en mai 2023, tout en clamant son innocence dans ce que les procureurs accusent de stratagème de trois pays tiers visant à acheter de l’influence au Parlement européen.
Elle reste accusée de participation à une organisation criminelle, de corruption et de blanchiment d’argent.
L’ancien député européen de 47 ans a toujours nié toutes les accusations. Son partenaire Francesco Giorgi, assistant parlementaire et ancien conseiller de Panzeri, a admis avoir accepté des pots-de-vin, mais a affirmé que Kaili n’était pas directement impliqué dans le stratagème de corruption. Il est le père de la fille de Kaili.
Drame de cour byzantine
L’affaire porte sur des allégations selon lesquelles le Qatar, le Maroc et la Mauritanie auraient cherché à influencer les décisions du Parlement européen en versant des pots-de-vin aux députés et au personnel. Les autorités affirment que ce projet visait à faire échouer les résolutions parlementaires condamnant le bilan du Qatar en matière de droits de l’homme et à garantir la libéralisation des visas pour les citoyens qatariens. Le Qatar et le Maroc nient ces allégations.
Panzeri a conclu un accord avec les procureurs en janvier 2023 pour devenir témoin coopérant en échange d’une réduction de peine. Aux termes de cet accord, il s’engage à révéler « l’identité des personnes qu’il reconnaît avoir soudoyées ».
Les avocats de la défense ont contesté la crédibilité de Panzeri et les méthodes utilisées pour obtenir ses aveux.
L’affaire a pris un autre coup dur après que Claise, le juge d’instruction qui a ordonné l’arrestation de Kaili, a été contraint de se récuser en juin 2023 après qu’il est apparu que son fils était un partenaire commercial du fils de l’eurodéputée belge Marie Arena – Arena elle-même inculpée plus tard dans le scandale.
Les avocats de la défense affirment que Claise était au courant de ces liens et qu’il aurait dû se récuser plus tôt, et qu’il a protégé Arena en retardant son inculpation.
Marie Arena n’a été inculpée qu’en janvier pour participation à une organisation criminelle, mais pas pour corruption ou blanchiment d’argent. La police a trouvé 280 000 € en espèces au domicile de son fils, selon les médias belges.
Un autre développement important est survenu en septembre 2024 lorsqu’un juge bruxellois a ordonné au Comité R, un organisme indépendant supervisant le renseignement belge, de réexaminer la légalité des « méthodes spécifiques et exceptionnelles » utilisées par les services secrets belges VSSE dans l’enquête.
« C’est une décision très importante et extraordinaire que la cour d’appel a prise », avait déclaré à l’époque à L’Observatoire de l’Europe l’avocat de Kaili, Sven Mary, ajoutant que cette découverte pourrait ouvrir une « nouvelle boîte de Pandore » sur le rôle joué par les renseignements belges.
La commission avait rendu un avis en janvier confirmant que le VSSE avait agi dans le respect de la loi. Cependant, les avocats de la défense ont souligné que le code pénal belge n’a été modifié pour criminaliser l’ingérence étrangère qu’en avril 2024, soit un an et demi après les perquisitions. Au moment de l’enquête initiale, seul l’espionnage militaire était considéré comme un délit d’ingérence passible de poursuites.
Kaili a également contesté d’autres éléments de l’enquête, arguant que les autorités belges l’avaient soumise à des conditions « médiévales » pendant sa détention.
Ses avocats ont affirmé qu’elle avait été détenue à l’isolement pendant trois jours en janvier 2023, sans couvertures adéquates, avec des lumières allumées en permanence, ce qu’ils ont qualifié de « torture ». Les procureurs belges ont contesté ces affirmations.
Affaire dite du Belgiangate ?
Les défis procéduraux auxquels l’enquête est confrontée sont considérables. Les avocats de la défense ont remis en question l’affaire sur plusieurs fronts, notamment sur la manière dont l’immunité de Kaili a été levée, sur le rôle des services de renseignement belges et sur la crédibilité du témoin clé Antonio Panzeri.
Un débat crucial porte sur la question de savoir si les enquêteurs ont artificiellement créé une situation de délit flagrant. Lorsque le père de Kaili a été arrêté avec une valise remplie d’argent liquide le 9 décembre 2022, le juge Claise a utilisé cela pour justifier une perquisition immédiate au domicile de Kaili.
Les avocats de la défense soutiennent que l’immunité ne peut être levée que lorsqu’une personne est prise en flagrant délit, et que les enquêteurs ont fabriqué ces conditions spécifiquement pour contourner ses protections parlementaires.
Les questions sur la fiabilité de Panzeri se sont intensifiées après que Giorgi ait secrètement enregistré un enquêteur disant : « Panzeri ment ».
L’enregistrement, révélé par le média belge La Libre, aurait montré l’enquêteur remettant en question à plusieurs reprises la crédibilité de l’homme que les autorités belges considèrent comme le cerveau du stratagème.
Les procureurs souhaitent que l’enregistrement soit exclu, invoquant des circonstances « peu claires ». Les avocats de la défense insistent sur le fait que cela prouve que l’accord de coopération de Panzeri a été accordé trop hâtivement et aurait dû nécessiter l’approbation du tribunal.
En septembre 2024, Kaili et Giorgi ont déposé une plainte pour diffamation contre Panzeri auprès du procureur de Milan.
En juillet de cette année, Kaili a remporté une victoire juridique lorsque le Tribunal de l’UE a statué que le Parlement européen lui avait refusé à tort l’accès aux documents concernant sa prétendue mauvaise gestion des indemnités d’assistant parlementaire, dans le cadre d’une plainte déposée auprès du Parquet européen.
Tout est encore dans les limbes
L’affaire s’est considérablement élargie depuis les premières arrestations. En mars, les procureurs ont demandé la levée de l’immunité parlementaire des eurodéputées S&D italiennes Elisabetta Gualmini et Alessandra Moretti.
Au total, au moins dix personnes sont désormais inculpées, parmi lesquelles les anciens députés européens Panzeri, Cozzolino et Marc Tarabella, ainsi que le lobbyiste Niccolò Figà-Talamanca et Luca Visentini, secrétaire général de la Confédération syndicale internationale.
La Chambre d’accusation de Bruxelles n’a commencé à examiner la légalité de l’enquête que cette semaine, avec des auditions impliquant plus de 20 parties au dossier.
Kaili, qui n’a pas cherché à être réélue en 2024, vit désormais en Italie et en Grèce, où les autorités ont gelé ses avoirs peu de temps après son arrestation, mais il reste peu probable qu’un procès commence avant fin 2026 au plus tôt.






