Nucléaire et tensions entre EDF et la Chine après l’incident de Taishan

Bastien

Nucléaire : tensions entre EDF et la Chine après l’incident de Taishan

Un incident passé presque inaperçu en France ravive aujourd’hui les lignes de fracture d’une coopération énergétique stratégique. Quand l’atome se mêle de diplomatie, les fissures sont parfois plus politiques que techniques. Entre EDF, Framatome et son partenaire chinois CGN, les désaccords ne sont plus souterrains : ils s’exposent désormais à ciel ouvert.

Contexte d’un incident qui met à rude épreuve la coopération

Au cœur de la centrale nucléaire chinoise de Taishan‑1, l’un des deux seuls EPR en exploitation dans le monde, un incident technique s’est déclenché : cinq crayons de combustible révèlent une fuite de gaz rares radioactifs — des krypton et xénon — dans le circuit primaire. Ce type d’anomalie n’augure pas à lui seul un accident nucléaire majeur. Néanmoins, elle suscite une préoccupation légitime chez EDF et sa filiale Framatome, qui est l’auteur des crayons défectueux.

Un dialogue à sens unique et une coopération fragilisée

Malgré leur participation à hauteur de 30 % dans la coentreprise exploitant Taishan (TNPJVC), EDF et Framatome rencontrent des difficultés à obtenir la collaboration de leur partenaire chinois, CGN, majoritaire à 70 %. Les experts français voient leurs demandes d’informations rester sans réponse, tandis que les conseils techniques de Framatome sont évidemment ignorés.

L’éclairage américain : une fuite révélée hors sol

Il est très probable que cet incident aurait été cantonné à un cercle restreint d’acteurs si la télévision américaine CNN n’en avait signalé l’existence le 14 juin 2021, de manière plutôt alarmiste. Elle mentionne notamment un document transmis par Framatome aux autorités américaines dès le 3 juin, dans lequel l’incident est formellement décrit. Ce recours aux États-Unis souligne une tension supplémentaire : la filiale américaine de Framatome, qui gère la base de données des incidents du groupe, ne peut légalement assister sur place. En effet, CGN est sur liste noire américaine, ce qui interdit toute collaboration avec des entreprises américaines.

Analyse nuancée

  • Des enjeux multilatéraux : l’incident révèle non seulement une faille technique isolée, mais aussi une difficulté stratégique dans la coopération franco‑chinoise, où les problèmes industriels se doublent de contraintes géopolitiques.
  • Sécurité vs souveraineté : tant EDF que Framatome tentent de préserver la sécurité nucléaire, mais se heurtent à la dynamique d’un partenaire qui privilégie sa souveraineté de gestion. Cela pose la question de la fiabilité opérationnelle dans des alliances technologiques sensibles.
  • Transparence soumise à la géopolitique : l’intervention de CNN illustre bien la puissance des lois extraterritoriales américaines, qui imposent une supervision indirecte, y compris lorsqu’il s’agit de sûreté nucléaire.

Conclusion

L’incident des crayons de combustible défectueux à Taishan‑1 dépasse certainement le cadre d’un simple incident technique. Il constitue un révélateur puissant des tensions inhérentes aux partenariats internationaux en matière nucléaire — lorsqu’interfèrent à la fois sécurité industrielle, gouvernance opérationnelle et pressions politiques externes. EDF et Framatome se trouvent confrontés à un dilemme : comment garantir la transparence et la sûreté dans un contexte où leurs conseils sont écartés et où les conflits juridiques internationaux compliquent l’assistance technique ? En définitive, cet épisode, bien que contenu, questionne durablement les fondations même du rêve nucléaire franco‑chinois.

Laisser un commentaire

4 × cinq =