Derrière chaque avancée en matière de semi-conducteurs se cache une vérité simple : pour produire des puces de dernière génération, il faut disposer des machines capables de les graver. Or, une entreprise domine ce marché stratégique, et son influence bouleverse aujourd’hui l’équilibre technologique mondial.
ASML, un acteur méconnu mais incontournable

L’entreprise néerlandaise ASML est devenue, presque par défaut, le fournisseur unique des équipements les plus avancés pour la fabrication de semi-conducteurs. Grâce à sa technologie de photolithographie aux ultraviolets extrêmes (EUV), elle permet aux géants comme Intel, TSMC ou GlobalFoundries de produire des puces toujours plus fines et puissantes.
À l’origine, Nikon et Canon avaient également exploré cette technologie, mais se sont retirés face à l’ampleur des investissements nécessaires. Ce retrait a laissé à ASML un monopole de fait sur une technologie devenue essentielle. Résultat : tout acteur de l’industrie dépend désormais de sa capacité à livrer ses machines, qui se comptent en dizaines de millions d’euros l’unité.
Pékin face au mur occidental
Pour la Chine, le problème est clair : elle ne peut pas progresser dans la gravure de puces de pointe sans accès à ces équipements. Depuis plusieurs années, une alliance occidentale menée par Washington freine ses ambitions. Les Pays-Bas ont ainsi accepté de limiter les exportations de leurs machines vers les industriels chinois, au nom de la protection de la propriété intellectuelle et du risque d’un usage militaire des puces les plus avancées.
Concrètement, ASML n’a jamais vendu ses modèles EUV à la Chine. Mais désormais, même les versions moins sophistiquées (DUV), jusque-là accessibles, seront restreintes à partir de l’été prochain. L’objectif officiel est de limiter les applications militaires. La conséquence réelle est un ralentissement global de l’industrie technologique chinoise.
Des restrictions à géométrie variable
La situation reste toutefois nuancée. ASML continue à livrer ses équipements à des entreprises comme Samsung ou SK Hynix, dont certaines usines sont implantées en Chine. Les machines sont donc présentes sur le sol chinois, même si elles ne profitent pas directement à des acteurs nationaux. Ce paradoxe illustre la complexité de la guerre technologique actuelle, où la ligne de partage entre alliés et concurrents reste poreuse.
Les États-Unis, chef d’orchestre de la pression internationale
Si les Pays-Bas sont en première ligne, la stratégie vient avant tout de Washington. Les États-Unis exercent une pression constante pour que leurs alliés limitent les exportations sensibles. Ce rôle d’« arbitre mondial » dans la technologie irrite Pékin, qui dénonce une ingérence dans les affaires économiques internationales.
La diplomatie chinoise a publiquement demandé à La Haye de « défendre ses propres intérêts » et de ne pas suivre aveuglément les restrictions américaines. Une critique qui souligne la dépendance de l’Europe aux équilibres stratégiques définis par les États-Unis.
La contre-offensive chinoise
Face à ce verrouillage, Pékin accélère ses investissements pour bâtir une industrie souveraine des semi-conducteurs. De premières réalisations émergent, comme la carte graphique Moore Threads MTT S80 ou le processeur 3D5000. Les performances restent encore loin des standards occidentaux : compatibilité limitée, logiciels peu optimisés. Mais sur le plan matériel, les capacités de calcul atteignent déjà des niveaux impressionnants, laissant entrevoir des marges de progression considérables.
Avec des moyens financiers massifs et un soutien politique total, la Chine est l’un des rares pays capables de développer de zéro une filière complète. L’indépendance technologique est devenue un objectif stratégique central, et l’État mobilise ses ressources pour y parvenir.
Un avenir incertain mais décisif
Si certains analystes y voient une « condamnation à mort » de l’industrie chinoise par l’Occident, l’histoire récente montre la résilience de Pékin face aux sanctions. La question n’est pas tant de savoir si la Chine réussira à rattraper son retard, mais à quelle vitesse.
L’Occident gagne du temps, mais la Chine bâtit patiemment ses propres fondations. Et lorsque ses technologies atteindront leur maturité, les interdictions actuelles pourraient bien ne rester qu’un chapitre de transition dans une rivalité appelée à structurer durablement l’économie mondiale.



