Peux-tu, en guise d’introduction, te présenter ?
Je m’appelle Samuel Vrignon. Sur le plan académique, je fais des études de philosophie et en parallèle je suis à l’ESCP que j’ai intégrée après ma classe préparatoire.
Mais ça ne dit finalement pas grand-chose de moi, passons à l’important. Je suis un homme d’engagement. Je suis convaincu que chaque personne est capable de participer, à son échelle, à l’avènement d’un monde meilleur, et que nous devons nous saisir, chacun, de cette opportunité.
Mais si l’idéal est noble, le danger que ce désir de bien – ou à tout le moins ce désir de mieux – soit dévoyé est grand. L’homme a à faire, lors de sa vie, à des mécanismes très puissants de déterminismes qui lui donnent le sentiment que le monde est évident et qui obscurcissent son jugement. Qu’elles soient sociales, psychologiques, familiales ou intellectuelles, ces lames de fond psychologiques rendent difficile notre bonheur et notre épanouissement. Je crois que la philosophie – cet étonnement permanent pour des choses qui n’étonnent plus personne – peut nous libérer de ce que Kant appelait le « torrent des nécessités naturelles » et éclairer à la fois nos prises de décision personnelles et l’action politique.
Tu as fondé en début d’année, une association, le Jardin, ouverte à tous ceux qui aiment la philosophie. Pourquoi l’as-tu créée ? Y a-t-il eu un événement déclencheur ?
D’abord, je crois – et loin d’être une simple croyance, je peux le constater quotidiennement – que la philosophie d’une manière générale a un rôle à jouer dans la vie quotidienne et dans la vie politique. Trop longtemps, la philosophie a été vue comme une discipline d’érudits, réservée à une élite alors même qu’elle est au cœur de la nature humaine : je crois que ce temps doit passer. On me dira que dans tous les lycées de France, la philosophie est obligatoire en terminale. Soyons sérieux : on ne peut réduire le projet philosophique d’étonnement permanent, de compréhension du monde et de nous-même à une trentaine de citation apprise par cœur la veille d’un examen.
Face à ce constat, l’objectif de l’association est triple pour ancrer la philosophie dans le quotidien de tous ceux qui le voudraient : promouvoir la démarche philosophique et sa méthode ; permettre à des gens intéressés par la philosophie d’écrire et de porter un regard nouveau sur des sujets à travers des articles originaux ; de vulgariser des thèses philosophiques et de donner la parole à des philosophes pour qu’ils puissent exprimer leur pensée longuement et en détail.
Pour ce faire nous publions des articles, organisons des conférences et animons des débats. Nous sommes également en préparation d’une revue papier et de cours d’initiations à la philosophie pour les plus jeunes.
Concernant l’événement déclencheur, je crois qu’au-delà de la démarche générale, l’entrée en école de commerce, avec tout ce que cela implique sur le rapport à l’alcool ou à l’argent, m’a fait ouvrir les yeux sur la nécessité de la philosophie à la fois dès le plus jeune âge et au-delà du bac.
Nous avons l’habitude de recevoir des jeunes engagés en politique, mais toi, tu te démarques puisque ton engagement s’axe sur le rapport singulier entre politique – philosophie. Comment perçois-tu ce rapport entre politique et philosophie ? Comment la philosophie influence sur la vie politique ? Et inversement ?
La philosophie est au cœur de la vie politique. Un système de pensée politique n’échappe pas à la règle générale : toutes les solutions proposées aux problèmes résultent d’une croyance en certains axiomes. Si je poursuis avec quelqu’un une discussion politique, et que je m’intéresse à la nature de mes désaccords avec lui, je finirai nécessairement par tomber sur un désaccord philosophique.
Prenons l’exemple de la justice : faut-il un modèle punitif ou réhabilitatif ? Faut-il construire plus de prisons pour les délinquants ou engager plus de travailleurs sociaux ? Si elles semblent éminemment politiques, ces questions sont également philosophiques : l’homme est-il un être libre qu’il convient de punir quand il faute ou un être déterminé qu’il faut aider à retrouver le droit chemin ? Mais ces questionnements sont applicables dans tous les domaines : quelle place pour la liberté et la responsabilité individuelles dans l’action politique ? Quelle forme d’état ? Quel système politique ? La politique découle par essence de croyances plus profondes ! Je suis convaincu qu’il faut replacer la philosophie au cœur de l’action politique, car c’est là qu’est toute sa place.
Penses-tu que la philosophie puisse permettre de réduire la fracture entre les élus et les citoyens ? Si oui, comment ?
J’en suis certain.
Mais il faut être très clair. Il n’est pas question et il ne serait pas désirable de transformer le débat politique en arène philosophique, et le réel impose toujours une action qui comporte une grande part de connaissances techniques.
Cependant, recentrer le débat en ayant en tête ces antagonismes philosophiques et en donnant à chacun les armes permettant de les comprendre apaiserait les fractures de nos sociétés et pousserait chacun à voter selon ses convictions profondes plutôt que sur le sujet du moment. La mise en contexte des actions politiques dans leur champ philosophique permettrait également de placer l’action politique dans un temps plus long.
Je pense que la politique française, depuis trop longtemps, se contente de mesures correctives d’un réel qui s’impose à elle. Mon expérience particulière n’a qu’une importance modérée, mais quand je demande à mon médecin trentenaire s’il s’intéresse à la politique et qu’il me répond qu’il ne vote plus parce que personne n’a de projet de fond, et que quelle que soit la personne élue elle mènera une politique qui tentera de colmater les problèmes qui font l’actualité, je crois que ça nous interroge collectivement sur notre rapport à la politique.
Et cette critique dont j’ai pris un exemple particulier est générale : il y a un sentiment que la politique s’est perdue, que la politique n’existerait même plus. Je crois que c’est faux et qu’il y a encore un avenir pour la politique. Cet avenir ne pourra passer que par un retour vers la philosophie : quel est le rôle de la politique ? Que voulons-nous pour la Cité ? Comment voulons-nous y vivre ? Quel doit être son rôle dans le monde. Les questions que notre société doit se poser sont très profondes et ne peuvent être discuté que philosophiquement.
Évidemment, en évoquant tout ça je ne dis même pas combien la pratique de la philosophie en tant que telle apaise la manière de mener un débat et incite à respecter l’opinion de l’autre.
De manière plus large, quelles sont les valeurs, enjeux et batailles qui te tiennent à cœur et que tu veux porter dans ton engagement ?
Mon engagement est assez général et repose sur une croyance forte : l’universalisme. Je crois que les hommes sont porteurs d’un universel commun très fort, et qu’ils ont la possibilité de s’émanciper de leurs caractéristiques de naissance. Cette valeur fondatrice est au cœur de l’idéal républicain et je crois profondément qu’elle est un axiome majeur pour une société libre et apaisée qui doit être défendue. On ne peut pas vivre ensemble en cultivant l’idée que l’autre, parce qu’il est né différent de moi, ne peut pas me comprendre ou s’entendre avec moi.
Mais le réel montre qu’une valeur, si forte soit elle, ne suffit pas à modifier la réalité de manière performative. Il faut éduquer les hommes à être à la hauteur de cet idéal.
Alors, le combat qui me tient particulièrement à cœur est celui pour l’éducation. Pour que ces fondements ne restent pas lettre morte et que nous puissions construire une cité libre et prospère, il faut que tous aient accès à une éducation de qualité. À la fois intellectuelle et scientifique mais également artistique et culturelle. Chaque enfant qui ne va pas à l’école est une perte terrible pour l’humanité.
Comment perçois-tu la relation entre jeunesse et politique à l’heure actuelle ? Quelles sont les causes de ce désintérêt de la jeunesse de la chose publique selon toi ? Et comment y remédier ?
Je crois que la jeunesse ne se désintéresse pas de la politique mais qu’elle n’a jamais connu la politique.
On en reviendra ici à ce que j’exprimais sur les fractures françaises, notre génération n’a jamais connu d’hommes politiques, d’hommes de projet. Je crois que notre génération a le sentiment d’une dépossession, d’un mensonge. À droite, le sentiment d’une perte de puissance de la France en voyant notre chute dans le concert des nations et un parlement qui ne fait que transposer des directives européennes. À gauche, le sentiment que l’état est tellement empêtré dans des considérations économiques qu’il refuse de voir que la menace écologique est imminente. Et bien évidemment, ni d’un bord ni d’un autre, cette immense partie de la France, périphérique, qui s’est vue déclassée, affaiblie, dans laquelle les usines ont fermé et que les services publics ont désertée.
Emmanuel Macron s’est d’ailleurs fondé sur ce constat d’une perte de sens politique pendant sa campagne. Ce n’est pas cependant à moi de juger s’il a été différent de ses prédécesseurs dans son action mais force est de constater qu’il n’a pas fait s’éteindre ce sentiment.
Notre génération doit découvrir la politique et je suis absolument certain qu’il n’est pas trop tard pour le faire. L’engagement de chacun pour redéfinir l’objectif de la politique et ses ambitions est essentiel !
Que répondrais-tu aux jeunes qui considèrent que « ça ne sert à rien de s’engager » ? Au contraire, quels conseils donnerais-tu aux jeunes qui souhaitent s’engager ?
Engagez-vous, rengagez-vous qu’ils disaient. Je ne crois pas avoir la légitimité pour donner des sortes de « conseil d’engagement ». À titre personnel je pense simplement que bien souvent, il faut croire les choses possibles pour les rendre possibles.
Notre génération assimile l’engagement à des paroles vides, à une volonté de nouvelles réformes de technocrates déconnectés du réel. Mais ça n’est pas ça.
Et de plus en plus de gens d’ailleurs reviennent à un engagement « radical » voire révolutionnaire, c’est à dire qui va au-delà d’une volonté réformatrice dans l’action politique. Je vois depuis des années des jeunes, le dimanche, battre le pavé pour plus d’action contre le réchauffement climatique, j’en vois d’autres coller des affiches pour Zemmour, d’autres encore interdire à des intellectuels de s’exprimer en raison de désaccords politiques. La croyance dans l’utilité de l’action revient.
Tu es également attaché parlementaire, peux-tu nous expliquer en quoi cela consiste ? Quelles sont tes fonctions principales ?
En effet, à côté de mes licences j’ai un petit travail du lundi au jeudi en tant qu’attaché parlementaire.
Mon travail se résume en un mot : faire tout et n’importe quoi, et surtout ce dont a besoin ma députée. Le travail de député est multiforme, et les attachés parlementaires sont là pour l’aider dans sa tâche. En période parlementaire importante, on peut passer la majorité de son temps à écrire des amendements, et en période plus creuse, s’intéresser aux enjeux du territoire de la circonscription et faire des réponses individuelles aux gens qui demandent de l’aide à ma députée. Parfois, il arrive aussi de devoir préparer des notes ou des textes de communication : variable donc !