Régulation des écrans : le secteur se prépare à limiter la casse

Martin Goujon

Régulation des écrans : le secteur se prépare à limiter la casse

Un ton volontiers choc et le doigt pointé vers les plateformes : le rapport du comité sur les écrans, commandé directement par Emmanuel Macron, annonce une nouvelle séquence de régulation pour les acteurs du numérique en France. Ceux-ci se préparent pour limiter la casse en matière de réputation et de régulation.

Le compte à rebours est lancé : le rapport en mains, le président de la République a indiqué début mai donner un mois à son gouvernement pour examiner les propositions « et les traduire en actions ».

Parmi les mesures portées par le comité, des balises d’âge jusqu’à 18 ans sont censées permettre aux enfants d’entrer progressivement dans le monde numérique — sans accès aux réseaux sociaux les plus populaires avant la majorité.

Le document préconise également de faire émerger une « norme éthique européenne » pour les plateformes, ainsi que la création d’une agence dédiée à la gouvernance du numérique.

Le secteur avait-il sous-estimé la volonté de régulation derrière ce comité ? C’est ce que croit Axelle Desaint, directrice du programme Internet sans crainte chez Tralalère et membre du comité, contactée par L’Observatoire de l’Europe le lendemain de la remise du rapport.

«Certains n’ont pas compris l’enjeu», estime-t-elle. Le groupe de dix experts, qui avait encouragé les plateformes sollicitées à envoyer en audition leur personnel technique, n’a reçu que des responsables des affaires publiques.

« A les entendre, ils font tout ce qu’il faut, relate Axelle Desaint, ils soutiennent financièrement des associations de protection de l’enfance et donnent aux utilisateurs des moyens d’autorégulation », comme les outils de contrôle parental ou les limites personnalisables de temps d’écran quotidien.

Une position qui confirme à demi-mot le lobbyiste d’un acteur privé, qui a souhaité conserver l’anonymat faute d’autorisation à s’exprimer. Auditionné, il a trouvé l’expérience grossière : « On ne s’attendait pas à cela, c’était un ping-pong d’accusations et de droits de réponse, très différent des auditions parlementaires ou techniques dont nous avons l’habitude. »

Le rapport désormais connu, les plateformes n’espèrent plus échapper à une vague de régulation, devenue une priorité en haut lieu.

«Depuis les émeutes de juin dernier, c’est une volonté forte du président», s’insurge un conseiller élyséen. «C’est un excellent sujet, pour le grand public et tous les parents», abonde une ministre, elle-même mère.

Le gouvernement a ainsi renforcé sa position sur des questions de fond, notamment l’instauration d’une majorité numérique à 15 ans comme le prépare la loi du député Laurent Marcangeli (Horizons). Emmanuel Macron a ainsi appelé à porter la mesure au niveau européen lors de son discours à la Sorbonne le 25 avril.

Les parlementaires continuent d’ailleurs à faire pression : sur compte trois propositions de loi émanant de la droite et du centre sur la régulation des écrans, que ce soit dans les crèches (Annie Genevard et Antoine Vermorel-Marques, LR), dans les écoles (Agnès Evren, LR) ou à travers des dispositifs de prévention (Caroline Janvier, Renaissance).

Pour leur défense, les lobbyistes impliqués se risquent peu à nier les constats sanitaires du rapport, lesquels agissent un « consensus » sur les effets nocifs des écrans sur les plus jeunes. «On ne peut pas les ignorer», fait valoir Sharone Franco, responsable des affaires publiques de la plateforme Yubo.

L’Alliance française des industries du numérique (Afnum) critique cependant un rapport stigmatisant pour l’industrie : « Il y a un certain nombre d’allégations peu étayées », déplore un cadre du lobby, notamment sur les limitations d’âge voulues par le comité.

Lors de son audition, l’Afnum — dont font partie Google, Samsung ou Microsoft — a mis en avant ses objectifs de sensibilisation des parents et plaidé pour des campagnes de communication sur l’usage des écrans, plutôt que des restrictions imposées aux plateformes.

«On s’attend désormais à un projet de loi reprenant un bon paquet de mesures» au regard des déclarations fermes d’Emmanuel Macron, confie le représentant des affaires publiques d’un fabricant.

Ce dernier s’active pour fournir aux régulateurs des chiffres à l’appui de son argument principal : « Le problème, ce ne sont pas les écrans, mais leur usage. Pour nous opposer à un texte pareil, il faut être technique.

Le même, anonyme répondant à L’Observatoire de l’Europe pour s’exprimer librement, rode aussi ses arguments sur la nécessité de sensibiliser les parents aux usages du numérique, tout en se préparant à renvoyer la balle de la responsabilité aux plateformes, à commencer par la mise en place du contrôle effectif de l’âge d’un utilisateur.

Face à la potentielle régulation, les acteurs concernés ne se priveront pas non plus de se ranger derrière le droit européen. « Il faudra voir ce que le gouvernement peut réellement faire dans ce cadre », prévient le lobbyiste d’une plateforme, alors que le dernier projet de loi numérique (SREN) — dans l’attente d’un avis du Conseil constitutionnel — s’ est déjà frotté à ces limites.

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