En réalité, cette affirmation abracadabrante ne résiste pas à l’épreuve des faits historiques. Elle s’inscrit dans une stratégie diplomatique de revendication – mais au prix d’une réécriture contestable de l’histoire.
Une assertion historique sans fondement
Lors d’une interview télévisée en août 2022, Lu Shaye, ambassadeur de Chine en France, a déclaré que Taïwan était sous administration chinoise depuis 230 après Jésus‑Christ, évoquant même un passé de deux millénaires d’appartenance chinoise. Une affirmation largement relayée, mais historiquement inexacte.
Les premiers contacts mentionnés dans les annales datent de 230 ap. J.-C., lorsqu’un émissaire du royaume de Wu aurait envoyé une expédition sur une île nommée « Yizhou », souvent identifiée à Taïwan par certains historiens. Mais aucune administration ou contrôle durable ne s’en est suivi. La Chine n’a jamais exercé un pouvoir réel à cette époque.
L’administration chinoise, bien plus tardive
Une présence administrative structurée ne commence qu’à l’époque des dynasties Sui, Song, et surtout Yuan, lorsque des entités sont établies sur Penghu et Taïwan. Les ressources historiques montrent que seul le dynastie Qing, en 1683, a réussi à intégrer Taïwan de manière formelle à son empire. C’est en 1684 que fut créé un bureau préfectoral de Taïwan rattaché à la province du Fujian, et ce jusqu’en 1885, année où Taïwan devint officiellement la 20ᵉ province chinoise.
Un historien nuance : « Un peu plus de 200 ans seulement »
Antoine Bondaz, spécialiste de Taïwan, confirme cette lecture précise : l’administration chinoise s’est réellement installée pour un peu plus de deux siècles, mais jamais pendant deux millénaires. Il rappelle également que « même en Chine, l’histoire de Taïwan n’est pas enseignée de cette manière ».
Une instrumentalisation politique de l’histoire
Les déclarations de l’ambassadeur s’inscrivent dans un contexte de tensions exacerbées entre la Chine et les États-Unis, ravivées notamment par la visite de Nancy Pelosi à Taïwan. Depuis, les diplomates chinois multiplient les justifications symboliques : mention des restaurants chinois sur l’île, références historiques biaisées, etc.
Lu Shaye, adepte de la diplomatie dite du “loup guerrier”, a déjà multiplié les sorties provocatrices. En avril 2023, il a également mis en cause la souveraineté des pays de l’ex‑URSS et glissé que le statut international des États post-soviétiques serait discutable.
Conclusion
La revendication de deux millénaires d’administration chinoise sur Taïwan ne tient pas à l’épreuve des faits : elle manque de continuité historique et ignore les siècles d’autonomie, de colonisation européenne, puis de domination japonaise. En réalité, l’administration chinoise n’a véritablement été effective que pendant un peu plus de deux siècles, à l’époque de la dynastie Qing.
Cette instrumentalisation historique traduit surtout une stratégie visant à renforcer la légitimité territoriale de Pékin, quitte à sacrifier la vérité factuelle. Et dans le débat complexe autour de la souveraineté de Taïwan, cela ajoute de la confusion là où une précision rigoureuse s’impose.



