La France aux États-Unis : laissez-nous les petits réacteurs nucléaires

Martin Goujon

La France aux États-Unis : laissez-nous les petits réacteurs nucléaires

BRUXELLES — La dernière course mondiale à l’atome oppose deux puissances nucléaires : la France et les États-Unis.

L’Union européenne a dévoilé cette semaine une nouvelle alliance industrielle pour relancer la fabrication de ce qu’on appelle les petits réacteurs nucléaires – un produit qui existe à peine mais qui, selon ses partisans, pourrait révolutionner l’énergie nucléaire.

Pour l’Europe, l’idée est simple : unir leurs forces pour battre des concurrents comme la Chine et la Russie dans la course au développement de ces petites sœurs des centrales atomiques conventionnelles. L’espoir est que les réacteurs miniatures pourraient éventuellement être fabriqués sur un tapis roulant de type automobile à une fraction du coût et du temps qui ont historiquement pesé sur les centrales nucléaires.

Mais pour la France, il y a un problème majeur avec le projet européen : l’Amérique est impliquée.

« C’est une alliance européenne », a déclaré l’eurodéputé français Christophe Grudler, issu du même parti que le président français Emmanuel Macron, donc l’UE doit « s’assurer que les Américains n’y mettent pas le nez ».

Valérie Faudon, qui dirige la Société française de l’énergie nucléaire, est du même avis. « C’est vraiment une question de souveraineté européenne », a-t-elle déclaré.

Leur dégoût s’explique, au moins en partie, par le fait que les États-Unis sont un concurrent majeur de l’Europe – et de la France en particulier – dans la course à la fabrication de mini-réacteurs nucléaires.

Macron mise gros sur les mini-armes nucléaires. Il les voit jouer un rôle important dans la relance du nucléaire français, et son gouvernement a réservé 130 millions d’euros pour subventionner 11 mini-projets nucléaires, aidant ainsi tout le monde, des startups au géant français de l’énergie EDF. L’objectif est de construire le premier prototype d’ici 2030.

Pendant ce temps, les États-Unis s’efforcent également de relancer la production.

L’idée de l’UE est que ces alliés peuvent tous travailler ensemble face à une rivalité croissante avec la Russie et en particulier la Chine, qui a déjà accaparé le marché des technologies clés de l’énergie solaire et des batteries.

« La concurrence mondiale s’accélère », a déclaré mercredi la commissaire européenne à l’énergie, Kadri Simson, lors de la première réunion du groupe à Bruxelles. « C’est le rôle de l’alliance d’aider à positionner l’Europe dans cette course et de garantir notre capacité technologique et industrielle. »

Les États-Unis insistent sur le fait qu’il y a suffisamment de business de mini-armes nucléaires pour tout le monde.

« La concurrence mondiale s’accélère », a déclaré la commissaire européenne à l’énergie, Kadri Simson. | Aris Oikonomou/AFP via Getty Images

« Il y a des domaines où il existe une concurrence bonne, amicale mais robuste », a déclaré David Turk, secrétaire adjoint américain à l’énergie, à L’Observatoire de l’Europe dans une interview la semaine dernière. « Je ne pense pas qu’il y ait un problème avec ça. »

Il a ajouté : « Il y a un gâteau terriblement gros là-bas. »

Le gâteau est peut-être gros, mais l’Europe a déjà vu les États-Unis se tailler une part du marché de l’énergie nucléaire.

En 2022, EDF a perdu un juteux contrat pour la construction d’une centrale nucléaire traditionnelle en Pologne au profit d’un concurrent américain, Westinghouse – un coup dur pour la centrale énergétique française, lourdement endettée et ayant cruellement besoin de liquidités fraîches.

Des situations comme celle-là ont alimenté les appels en faveur du maintien de l’alliance des petits réacteurs entre les mains des Européens. Grudler, l’eurodéputé français, est favorable à une « alliance à deux niveaux », dans laquelle les entreprises étrangères ayant des succursales européennes seraient autorisées à se joindre, mais les postes clés seraient réservés aux membres européens.

Pour l’instant, la Commission européenne a reçu plus de 300 candidatures pour rejoindre cette initiative, qui vise à aider les entreprises à mettre en place une chaîne d’approvisionnement européenne pour ces mini-réacteurs nucléaires. Jusqu’à présent, les candidats sont en grande partie européens, mais quelques sociétés américaines notables sont également présentes, notamment General Electric et Westinghouse.

Les firmes américaines affirment venir en paix.

« Nous ne sommes pas là pour infiltrer quoi que ce soit, nous sommes là pour ajouter de la valeur là où elle pourrait faire défaut », a déclaré Laurent Vansoen, responsable européen des affaires publiques de Westinghouse. Pour garantir que cette technologie largement non testée se développe réellement, ajoute Vansoen, « il est préférable de travailler ensemble ».

Il ne semble pas qu’ils soient entendus. Selon plusieurs acteurs du secteur, les entreprises françaises devraient conquérir une série de postes clés au sein de l’alliance industrielle, et la plupart, voire la totalité, d’entre eux seront probablement confiés aux mains des Européens.

Pourtant, les experts affirment qu’il n’est pas dans l’intérêt de l’Europe de faire cavalier seul.

Selon Sylvain Cognet-Dauphin, analyste énergie chez S&P Global, « l’Europe est de toute façon en retard » sur les réacteurs miniatures. Il serait donc préférable de faire équipe avec Washington, a-t-il déclaré, pour éviter d’être encore plus à la traîne de ses rivaux mondiaux.

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