Alors que l’élan de solidarité envers les réfugiés ukrainiens a été immédiat et massif, certaines familles françaises commencent à éprouver les limites d’un accueil prolongé. Entre fatigue morale, déséquilibre financier et lourdeurs administratives, le quotidien devient de plus en plus difficile à gérer pour ces hôtes bénévoles.
L’accueil, entre générosité initiale et épuisement progressif
Au printemps 2022, la guerre en Ukraine provoque un exode sans précédent. Des millions de civils fuient leur pays, et la France se mobilise. Plus de 70 000 réfugiés ukrainiens trouvent alors refuge sur le territoire national, selon les chiffres de l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Une partie d’entre eux est accueillie directement par des particuliers, touchés par la détresse humaine et désireux d’agir.
Mais cet engagement citoyen, s’il repose sur une base altruiste, se heurte aujourd’hui à la réalité du quotidien. La promesse d’une aide ponctuelle se transforme souvent en cohabitation prolongée, avec son lot de complications. L’allocation de subsistance versée par l’État — 426 euros par mois — ne permet que difficilement aux réfugiés de subvenir à leurs besoins. Et surtout, elle met souvent plusieurs semaines à être versée. En attendant, c’est à la famille hôte de tout prendre en charge : nourriture, transport, démarches administratives, traduction, accompagnement psychologique.
Une charge lourde, souvent sous-estimée
Sophie Agier, maraîchère près de Tours et mère de quatre enfants, fait partie de ces familles qui se sont engagées sans hésiter. Mais très vite, la réalité s’impose : l’aide humanitaire s’inscrit dans la durée, avec un coût humain, logistique et émotionnel élevé. « Il nous semblait indispensable d’aider. On savait qu’on hébergeait une famille sans contrepartie. En revanche, on n’avait pas songé au fait qu’il faudrait investir un temps et un argent infini pour les aider », confie-t-elle.
Et elle n’est pas seule. De nombreuses familles partagent ce constat : la gestion du quotidien, les différences culturelles, les attentes parfois non verbalisées, ajoutent une pression constante. L’intention reste généreuse, mais l’usure psychologique gagne du terrain, d’autant plus que l’accompagnement des pouvoirs publics demeure insuffisant pour certaines zones rurales ou périphériques.
Une solidarité à bout de souffle ?
La situation met en lumière une problématique de fond : comment organiser une solidarité durable sans reposer excessivement sur l’engagement individuel ? Si l’accueil familial reste un levier essentiel, il ne peut être envisagé comme un substitut aux dispositifs d’État. Or, plusieurs témoins dénoncent des retards administratifs, des informations peu claires ou un manque d’interlocuteurs référents. Résultat : un sentiment d’abandon grandit chez certains hôtes.
L’accueil des réfugiés nécessite non seulement un soutien financier, mais aussi un accompagnement structurel : soutien psychologique, médiation interculturelle, accès facilité aux services sociaux. Sans cela, le risque est grand que cette solidarité spontanée se transforme en épuisement collectif.
Une question de résilience et de responsabilité partagée
Cette crise soulève un enjeu central : la nécessité de penser l’accueil comme une responsabilité partagée entre l’État, les collectivités locales, les associations et les citoyens. L’élan du cœur ne suffit pas. Il faut des outils adaptés, des relais sur le terrain et une politique de soutien cohérente pour que l’aide reste efficace, sans créer de déséquilibres ou de tensions.
Aujourd’hui, alors que le conflit s’inscrit dans la durée, il devient essentiel de redéfinir les modalités d’une solidarité durable, en évitant que ceux qui ont tendu la main ne finissent par la retirer, faute de ressources ou de reconnaissance. Car derrière chaque histoire d’accueil, il y a aussi des familles françaises qui n’avaient pas prévu d’assumer seules les conséquences d’une guerre qui n’est pas la leur.



