Ursula von der Leyen announced the €35 billion loan in a visit to Kyiv.

Jean Delaunay

Explication : Comment l’UE va exploiter les avoirs gelés de la Russie pour lever 35 milliards d’euros pour l’Ukraine

Les profits réalisés grâce aux avoirs gelés de la Russie sont la clé du prêt de 35 milliards d’euros promis par l’UE à l’Ukraine.

L’Union européenne a un nouveau plan : lever un prêt de 35 milliards d’euros, le transférer à l’Ukraine et aider le pays à combler le trou massif laissé dans son budget par l’invasion russe, qui approche de son millième jour sans aucune résolution en vue.

« Nous comprenons les énormes besoins de financement créés par la guerre », a déclaré Ursula von der Leyen vendredi lors d’une visite à Kiev.

« Vous devez maintenir l’État et l’économie en activité et en même temps renforcer votre capacité de défense contre l’agression russe. »

Le président de la Commission européenne a promis que le prêt fournirait à l’Ukraine « l’espace budgétaire dont elle a tant besoin » et lui accorderait « une flexibilité maximale » pour répondre à ses besoins quotidiens, comme payer les services de santé, acheter des armes et réparer les systèmes énergétiques que les forces russes ont bombardés sans relâche.

Le fait que Bruxelles accorde à l’Ukraine une nouvelle ligne de crédit n’a rien de nouveau, car cela se produit régulièrement depuis le début de la guerre. Mais cette fois, une différence essentielle rend l’initiative vraiment innovante : les actifs immobilisés de la Russie serviront de garantie pour le prêt et serviront à honorer tous les remboursements, ce qui exemptera le budget de Kiev.

Comment cela va-t-il fonctionner ? L’Observatoire de l’Europe vous explique tout ce que vous devez savoir.

D’où vient l’idée ?

Cette idée découle du slogan « faire payer la Russie » adopté par l’Occident en 2022 pour contraindre Moscou à payer l’énorme facture causée par la dévastation qu’il a provoquée en Ukraine. Le Kremlin a ignoré ces appels et a poursuivi son invasion brutale.

Les alliés étant confrontés à des budgets serrés, ils se sont tournés vers une source de financement supplémentaire qui leur permettrait d’épargner de l’argent : les avoirs de la Banque centrale russe, gelés au début du conflit. Ces réserves de change s’élèvent à environ 270 milliards d’euros, dont la grande majorité (210 milliards d’euros) est conservée sur le territoire de l’UE.

Euroclear, dépositaire central de titres (CSD) basé à Bruxelles, en est le principal détenteur.

En vertu du droit international, les biens souverains ne peuvent pas être confisqués. En revanche, les revenus extraordinaires qu’ils génèrent ne bénéficient pas de la même protection, ce qui signifie qu’ils peuvent être saisis et gérés de diverses manières.

En mai, les États membres ont convenu d’utiliser les bénéfices exceptionnels, estimés entre 2,5 et 3 milliards d’euros par an, pour soutenir l’armée ukrainienne et les efforts de reconstruction. Alors que la situation dans le pays devenait de plus en plus critique, les dirigeants du G7 ont signé en juin un engagement à lever un prêt de 50 milliards de dollars (45 milliards d’euros) et à fournir une aide immédiate à Kiev.

Quel est le lien entre l’UE et le prêt du G7 ?

Tout cela fait partie de la même initiative.

L’idée initiale était que l’UE et les États-Unis contribuent chacun à hauteur de 20 milliards de dollars (18 milliards d’euros), le Royaume-Uni, le Canada et le Japon prêtant le montant restant jusqu’à atteindre 50 milliards de dollars.

Mais Washington a émis des réserves sur la manière dont Bruxelles renouvelle les sanctions : selon le droit de l’UE, les restrictions contre la Russie, de l’interdiction du pétrole à la liste noire des oligarques, doivent être prolongées tous les six mois par un vote unanime. Cela signifie qu’à un moment donné, un État membre, comme la Hongrie, pourrait bloquer le renouvellement et débloquer les avoirs, provoquant ainsi le démantèlement du prêt et exposant les alliés occidentaux à un risque financier important.

La perspective d’un tel scénario ralentit les négociations entre responsables européens et américains, même si la situation en Ukraine, sous les bombardements russes intenses, devient désespérée à l’approche de la saison hivernale.

C’est pourquoi Ursula von der Leyen a décidé d’investir 35 milliards d’euros, une somme plus importante que prévu, pour inciter Washington et ses alliés à agir plus rapidement. Les prochaines élections présidentielles américaines et la possible réélection de Donald Trump ajoutent à l’urgence de ce projet.

La part de l’UE n’est-elle pas bien trop importante ?

Les 35 milliards d’euros de l’UE représentent bien plus que les 18 milliards d’euros qu’elle était censée verser lorsque le G7 a annoncé le plan en juin. En fait, cela représente plus des trois quarts des 45 milliards d’euros, soit 50 milliards de dollars promis. Mais les choses pourraient encore changer.

Les responsables de la Commission estiment que les alliés occidentaux doivent étudier la proposition de von der Leyen et décider du montant de leur contribution. Si le montant total dépasse 45 milliards d’euros, Bruxelles ajustera son prêt et ramènera sa part en dessous de 35 milliards d’euros.

De plus amples précisions sont attendues d’ici la fin octobre.

Comment seront utilisés les bénéfices exceptionnels ?

Dans le cadre du plan de von der Leyen, la Commission établira le Mécanisme de coopération en matière de prêts à l’Ukraine, une sorte de fonds commun où seront canalisés les bénéfices exceptionnels.

Une fois que les alliés auront levé le prêt et transféré l’argent à l’Ukraine, ils seront autorisés à utiliser ce nouveau mécanisme et à obtenir une part des revenus extraordinaires en fonction du montant qu’ils auront prêté. Les alliés utiliseront ces bénéfices exceptionnels pour effectuer les remboursements, y compris le principal, les taux d’intérêt et d’autres coûts supplémentaires.

Cela signifie que ni le G7 ni l’Ukraine ne supporteront le poids des remboursements.

Quelle est la prochaine étape ?

La Commission a demandé au Conseil et au Parlement européen d’agir rapidement sur cette proposition, car elle doit lever le prêt de 35 milliards d’euros avant la fin de l’année.

Le vote au Conseil se fera à la majorité qualifiée, ce qui signifie que le prêt lui-même ne sera pas soumis à des vetos individuels. Cela laisse espérer un accord rapide.

Si tout se passe bien, la Commission pourrait procéder au premier versement fin 2024 ou début 2025, après avoir vérifié que Kiev a rempli une série de conditions. Les 35 milliards d’euros devraient être versés progressivement tout au long de 2025, bien qu’un versement forfaitaire soit également possible.

Il appartiendra au gouvernement de Zelensky de décider comment utiliser l’aide. L’argent ne sera « pas destiné » et « pas ciblé », a expliqué un haut responsable de la Commission, s’exprimant sous couvert d’anonymat. Il a souligné qu’il n’y avait « aucune interdiction » de consacrer une partie du prêt à l’achat d’armes et de munitions pour l’armée ukrainienne.

Les décaissements seront effectués sur des comptes bancaires au nom de l’Ukraine mais situés sur le territoire des prêteurs, permettant une plus grande autonomie.

Dans le même temps, les bénéfices exceptionnels provenant des actifs immobilisés seront versés dans le fonds commun à partir d’août 2025.

Mais qu’en est-il du veto de la Hongrie ?

C’est la question éternelle à Bruxelles.

Dans le cadre de ce plan, le haut représentant Josep Borrell a proposé de prolonger la période de renouvellement des actifs russes de six à 36 mois afin de renforcer la prévisibilité à long terme et d’apaiser les inquiétudes de Washington.

Contrairement au prêt, cette proposition sera soumise à l’unanimité, ce qui signifie que la Hongrie pourrait faire dérailler l’idée et conserver les règles telles qu’elles sont actuellement pour maintenir son influence politique.

Selon les responsables de la Commission, le veto ne modifierait pas juridiquement le prêt de 35 milliards d’euros et Bruxelles poursuivrait son action avec ou sans une période de renouvellement plus longue. « L’argent continue de couler tant que les mesures restrictives restent en place », a-t-il déclaré.

En outre, Borrell a ajouté deux conditions politiques pour dégeler les avoirs : la Russie cesse ses hostilités et la Russie paie les réparations.

Même si les États membres soutiennent cette approche, la réalité est que la Hongrie conservera son droit de veto sur les avoirs gelés, qu’elle puisse l’exercer dans six ou 36 mois.

Washington agira en conséquence, car toute opération comportant des risques financiers nécessite l’approbation du Congrès américain pour obtenir des fonds supplémentaires. Dans le cas de l’UE, la garantie ultime contre une mauvaise surprise sera le budget commun du bloc.

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