European Parliament

Jean Delaunay

Élections européennes : les enjeux nationaux éclipsent-ils les enjeux européens ?

Les électeurs auront-ils réellement à l’esprit l’UE elle-même lorsqu’ils voteront aux élections européennes de juin ?

Le compte à rebours avant les élections parlementaires européennes de cette année est bien engagé, mais dans de nombreux pays, la bataille pour les votes semble se dérouler selon des lignes nationales et non continentales.

La dynamique est particulièrement forte en France, où les élections européennes sont présentées par certains partis comme un avant-goût de la course à la présidentielle de 2027 – ou « d’abord et avant tout des élections de mi-mandat », selon les termes de Jordan Bardella, tête de liste du parti. Le Rassemblement National d’extrême droite, qui appelle à « sanctionner l’Europe de Macron ».

« Si je suis en tête, je demanderai évidemment la dissolution de l’Assemblée nationale le soir même », a déclaré Bardella dans une interview à la chaîne française RTL. (En vertu de la Constitution française, seul le Président de la République peut prendre une telle décision.)

« La tentative et la tentation (…) d’utiliser les élections européennes comme des ‘élections de mi-mandat’, comme on dit aux Etats-Unis, est forte », estime Pascal Perrineau, professeur émérite à Sciences Po Paris et auteur de Un goût pour la politique.

« Les gens les utilisent pour exprimer leur colère contre ceux qui sont au pouvoir. Bien sûr, l’extrême droite européenne joue beaucoup à ce jeu lorsqu’elle n’est pas au pouvoir. »

En France, c’est la seule grande élection avant la prochaine présidentielle de 2027″, souligne Éric Maurice, analyste politique à l’European Policy Centre. « C’est une élection de liste nationale, donc il y a une forte tentation de nationaliser le scrutin. « 

Et d’après des études sur la politique européenne remontant à plusieurs décennies, cette « nationalisation » des élections à l’échelle du bloc n’est pas un phénomène nouveau.

Second violon

Un an après les premières élections européennes de 1979, les chercheurs Karlheinz Reif et Hermann Schmitt ont décrit le scrutin comme une « élection nationale de second ordre ».

Perçues comme de peu d’importance, les élections étaient utilisées par les forces politiques pour évaluer leur popularité au niveau national, en particulier lorsque les élections se déroulaient en plein mandat d’un président ou d’un gouvernement.

Les chercheurs ont également qualifié les élections européennes de « nationales », car elles sont organisées au niveau national, selon les règles nationales, et opposent les candidats nationaux aux candidats nationaux sur des questions nationales. Le mode de vote, le jour du scrutin et l’âge légal pour voter ou être éligible diffèrent également d’un État membre à l’autre.

« Pour l’instant, il n’y a que de légères tendances à l’européanisation des tendances électorales », estime Perrineau. « Ce n’est pas très évident. Ils ont été quelque peu visibles lors des dernières élections européennes de 2019, où il y a eu une forte hausse de la participation électorale. Nous avions l’impression que davantage d’Européens s’intéressaient aux élections européennes et au pouvoir du Parlement européen. »

Promouvoir les élections européennes de 2024 à Strasbourg.
Promouvoir les élections européennes de 2024 à Strasbourg.

Les crises récentes impliquant l’Union européenne, telles que la pandémie de Covid-19 et les répercussions de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, ont placé l’action européenne au premier plan des préoccupations des électeurs.

Mais cela suffira-t-il à remettre les questions européennes au premier plan le 9 juin ? Selon Éric Maurice, le travail des institutions européennes reste encore trop méconnu du grand public – et l’attention de nombreux électeurs est focalisée sur leurs propres élections.

Une dizaine d’élections nationales sont organisées dans l’Union européenne en 2024. Plusieurs ont déjà eu lieu, mais en Belgique, les élections fédérales et régionales auront lieu le même jour que les élections européennes, le 9 juin.

Des élections présidentielles sont prévues en Lituanie et en Roumanie, tandis qu’en Autriche, les électeurs devraient être appelés aux urnes pour les élections législatives.

Les élections européennes pourraient également être l’occasion pour les partis au pouvoir ou dans l’opposition de jauger leur popularité en amont des prochaines élections, que ce soit pour voir s’ils peuvent s’accrocher lors des prochaines élections nationales ou pour tenter de déterminer la meilleure voie à suivre pour revenir.

Le pays d’abord

En fin de compte, dit Pascal, « les électeurs voteront plus pour des raisons nationales, économiques et sociales – en ce moment la hausse des coûts de l’énergie, les problèmes d’inflation – que pour des questions européennes, qu’il s’agisse des institutions européennes, des politiques européennes ou même de la guerre ». en Ukraine. »

En France, les enjeux nationaux priment sur les enjeux européens pour la moitié des sondés, selon une enquête Ipsos réalisée pour Le Monde, Cevipof, la Fondation Jean Jaurès et l’Institut Montaigne.

53% des Français déclarent qu’ils prendront en compte « avant tout les propositions des partis sur les questions nationales » pour déterminer leur choix de vote, tandis que seulement 47% citent les questions européennes comme leur première préoccupation.

Par ailleurs, 52% des personnes interrogées ont déclaré qu’elles « voteraient avant tout pour marquer leur soutien ou leur opposition au président de la République ou à son gouvernement ».

Selon l’étude, l’européanisation des préoccupations est socialement divisée.

« Dans certains milieux, je pense notamment aux employés, aux cadres et aux actifs de moins de 50 ans, il y a une prise de conscience que l’Europe est plus que quelque chose de lointain à Bruxelles ou à Strasbourg », explique Perrineau, qui a contribué à l’étude. .

« En revanche, dans certains milieux plus éloignés de l’Europe – je pense aux ouvriers, aux employés, aux chômeurs (…) les préoccupations nationales prennent souvent le pas sur les préoccupations européennes », explique-t-il. .

Et en fin de compte, les questions européennes telles que l’immigration, la politique agricole commune et le soutien à l’Ukraine figurent également dans les élections nationales – prouvant que les questions nationales et européennes sont tellement liées qu’il est parfois difficile de les dissocier.

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