the European Commission

Jean Delaunay

Économie circulaire : les hôtels peuvent-ils recycler les eaux usées du tourisme ?

Dans les régions d’Europe où l’eau est rare, les hôtels cherchent des moyens de rationaliser et de recycler l’eau consommée par les touristes. Certaines initiatives ont été mises en avant par le projet européen WAT’SAVEREUSE, porté par l’Eurorégion Pyrénées-Méditerranée.

« L’avenir de nos entreprises en dépend. Si nous ne faisons pas le nécessaire maintenant, il sera trop tard », déclare Pascal Mangin, directeur du camping Les Mimosas, situé à Portiragnes, dans le sud de la France. Cet été, il affirme avoir économisé 15% sur la consommation d’eau par touriste, résultat de plusieurs mesures prises dans tout son camping.

Lorsqu’il a creusé la première piscine du camping avec son père il y a plusieurs décennies, il ne se doutait pas que l’eau deviendrait une denrée rare en Occitanie. La pression sur les eaux souterraines est préoccupante dans cette région où convergent chaque année des centaines de milliers de touristes.

Pascal Mangin travaille à réduire la consommation du parc aquatique du camping Les Mimosas
Pascal Mangin travaille à réduire la consommation du parc aquatique du camping Les Mimosas

Avec son parc aquatique composé d’une piscine à vagues, de divers toboggans, de jacuzzis et d’un bassin pour enfants, le camping Les Mimosas est un grand consommateur d’eau. Pascal Mangin s’est donné pour mission de réduire drastiquement son impact sur la ressource.

Il a par exemple décidé de traiter lui-même l’eau des jacuzzis individuels des bungalows, au lieu de l’envoyer au tout à l’égout après le départ de chaque famille. Il a également remplacé les systèmes de douche pour les rendre plus économes en eau.

Le camping Les Mimosas a testé un nouveau système de filtration pour piscines pour économiser l'eau
Le camping Les Mimosas a testé un nouveau système de filtration pour piscines pour économiser l’eau

Les économies les plus importantes ont été réalisées dans le secteur des piscines, en remplaçant les anciens filtres à sable par un matériau synthétique auparavant utilisé dans le secteur de l’eau potable. Selon Mangin, « trois fois moins d’eau » est utilisée pour le rétrolavage.

Le prochain défi du camping sera de recycler les eaux grises des bungalows
Le prochain défi du camping sera de recycler les eaux grises des bungalows

Autre évolution majeure, la mise en place d’un carnet de santé numérique, qui permet de suivre en temps réel les consommations de chaque installation et permet de mieux suivre les éléments les plus gourmands en ressources et de détecter les éventuelles fuites.

Un changement de paradigme dans le secteur du tourisme

Ces investissements ont été en partie financés par la région Occitanie, où le tourisme représente environ 10 % de la richesse régionale, et qui est menacée par une pénurie d’eau en raison de la diminution des précipitations.

« Notre vision est celle d’un tourisme de masse, durable et respectueux des ressources disponibles », déclare Eric Cadore, président de la Commission de l’eau et de la prévention des risques de la région Occitanie.

« Nous menons des opérations fortes et symboliques qui pourront ensuite être développées sur d’autres sites. Nous anticipons l’avenir et veillons à ce que les politiques de l’eau nous permettent de nous adapter au changement climatique qui a un impact majeur sur la vie des populations et sur l’économie. » ajoute le conseiller régional.

L’agence de développement régional AD’OCC accompagne également le camping Les Mimosas dans son prochain défi : recycler les eaux grises des bungalows grâce à des filtres ultraviolets, comme cela se fait sur les bateaux. Sur un bungalow pilote, l’eau des douches et des lavabos est traitée avant d’être envoyée vers les toilettes, avec une qualité « presque potable », selon Pascal Mangin.

Le camping a participé au projet européen WAT’SAVEREUSE, financé par le programme LIFE de l’Union européenne, qui visait à promouvoir l’économie circulaire dans le secteur du tourisme.

« Les touristes viennent ici pour se détendre et consommer beaucoup d’eau. Sauf que nous n’en avons pas », souligne Xavier Bernard-Sans, secrétaire général de l’Eurorégion Pyrénées-Méditerranée, qui a initié puis piloté ce projet franco-espagnol.

Entre 2020 et 2023, WAT’SAVEREUSE a réuni des autorités locales, des agences de l’eau et des professionnels du tourisme de Catalogne, des Baléares et d’Occitanie pour mener de nombreuses actions de sensibilisation.

« L’eau n’était pas une priorité il y a 20 ans. Certains établissements sont vieillissants et ont besoin d’être rénovés », résume Xavier Bernard-Sans. « Les grandes chaînes hôtelières ont la capacité financière et la volonté de se mettre au vert, mais les petits hôtels familiaux ont plus de mal à le faire car cela nécessite des investissements importants. D’où l’intérêt de les mutualiser », estime-t-il.

Mettre en avant les initiatives innovantes

Augmenter la proportion d’eau réutilisée est une priorité pour l’Union européenne, qui a adopté de nouvelles réglementations dans ce domaine. Alors que la France recycle moins de 1 % de ses eaux usées, l’Espagne atteint un taux d’environ 14 %, ce qui en fait l’un des pays les plus avancés du continent.

Vue aérienne de l'hôtel Can Buch, situé au-dessus de la ville espagnole de Gérone
Vue aérienne de l’hôtel Can Buch, situé au-dessus de la ville espagnole de Gérone

De l’autre côté de la frontière espagnole, l’hôtel Can Buch, situé sur les hauteurs de Gérone, a également été distingué dans le cadre du projet européen pour ses efforts en matière de circularité. Plus de la moitié de l’eau consommée provient des eaux de pluie collectées sur les toits des immeubles.

L'eau de pluie collectée sur les toits de l'Hôtel Can Buch est stockée dans ces réservoirs
L’eau de pluie collectée sur les toits de l’Hôtel Can Buch est stockée dans ces réservoirs

« Chaque année, il pleut moins et la consommation d’eau augmente. Comprendre les circuits que nous pouvons donner au peu d’eau dont nous disposons pour en tirer le meilleur parti nous rend plus durables dans le temps », explique le fondateur de Can Buch, Gerard Bofill, qui a rénové une ancienne ferme datant de 1622 pour en faire un lieu propice à l’écotourisme et à l’agriculture régénératrice.

La piscine naturelle de Can Buch, où les touristes nagent avec les grenouilles
La piscine naturelle de Can Buch, où les touristes nagent avec les grenouilles

L’hôtel récupère en moyenne 1,5 million de litres d’eau par an sur ses toits. Il passe par plusieurs filtres avant de se déverser dans les robinets, les douches et même dans une piscine naturelle, que les amphibiens partagent avec les touristes. L’eau est chauffée grâce au bois coupé dans le cadre d’un plan de prévention incendie.

Toutes les eaux usées sont envoyées vers une station de filtration végétale. Une espèce végétale locale est utilisée pour traiter l’eau, qui est ensuite utilisée pour le jardin de la ferme, dont les produits garnissent les assiettes du restaurant.

Une vue du système de filtration végétale de l'hôtel Can Buch, où toutes les eaux usées sont traitées
Une vue du système de filtration végétale de l’hôtel Can Buch, où toutes les eaux usées sont traitées

« Dans un autre hôtel, cette eau serait jetée. Ici, on lui donne une seconde vie. Le but est toujours d’essayer de boucler la boucle », explique Bofill, qui ajoute que « les produits de la ferme seront servis au restaurant, et les restes retournent aux animaux et ce qu’ils ne mangent pas servira de compost pour le sol ».

L'hôtel Can Buch mise sur la permaculture et l'agriculture régénérative
L’hôtel Can Buch mise sur la permaculture et l’agriculture régénérative

L’ancien footballeur affirme que sa philosophie est d’importer le moins de ressources possible. 67 panneaux solaires garantissent la consommation électrique de l’hôtel, qui n’est pas connecté au réseau électrique public. L’entrepreneur catalan a remporté plusieurs prix, dont un financement du programme européen de développement rural LEADER.

L'ancien footballeur Gérard Bofill est convaincu que la circularité assurera la viabilité de son hôtel sur le long terme
L’ancien footballeur Gérard Bofill est convaincu que la circularité assurera la viabilité de son hôtel sur le long terme

Gérard Bofill assure avoir réussi à assurer la viabilité de son hôtel, non seulement financièrement, mais aussi énergétique et naturel : « Quand nous sommes arrivés ici, nous avons fait des analyses sur la biodiversité, la quantité de matière organique dans le sol et la quantité d’eau aujourd’hui, nous en avons le double.

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