Comment l'extrême droite de Le Pen a tout gâché

Martin Goujon

Comment l’extrême droite de Le Pen a tout gâché

PARIS — Il y a moins d’une semaine, le parti d’extrême droite de Marine Le Pen était sur le point de prendre le pouvoir en France pour la première fois dans l’histoire de la République moderne.

Dimanche soir, Marine Le Pen et ses sympathisants du Rassemblement national (RN) se sont retrouvés dans une réception fastueuse près du Parc floral de Paris, dans l’est de la capitale. Le champagne coulait à flots en attendant de trinquer aux résultats du dernier tour des élections législatives.

Puis, son monde a commencé à s’effondrer.

A l’annonce des résultats, le RN a subi un renversement de situation spectaculaire, terminant à la troisième place, derrière l’alliance de gauche et même la coalition dirigée par l’impopulaire président Emmanuel Macron.

Le RN n’arrivera pas au pouvoir, son leader Jordan Bardella ne sera pas Premier ministre et le parti pourrait même ne pas devenir la principale opposition au Parlement.

Pour couronner le tout, elle a été touchée mardi par une enquête pour corruption suite à des allégations liées à sa campagne présidentielle il y a deux ans.

Le Rassemblement national a subi un revers spectaculaire. | Hans Lucas/Getty Images

Alors, qu’est-ce qui a mal tourné pour le visage de l’extrême droite européenne ?

Au lendemain de sa défaite, Bardella, 28 ans, a passé toute la journée à s’excuser pour la première grande défaite de sa carrière politique. « On fait toujours des erreurs, j’ai fait des erreurs, et j’assume ma part de responsabilité dans les résultats », a-t-il déclaré lundi à la télévision française.

Sentant le sang couler, certains anciens du parti se sont retournés contre la nouvelle direction de Bardella. Bruno Bilde, un proche de Le Pen qui s’est brouillé avec le jeune homme, a fustigé la gestion de campagne du RN. Le parti « doit faire un examen de conscience », a déclaré Bilde, un parlementaire RN.

Il a évoqué des « causes structurelles » qui ont entravé la campagne du RN au second tour. Louis Aliot, le maire de Perpignan qui a échoué face à Bardella à la course à la direction du parti en 2022, a fustigé le processus de sélection du RN.

En 2017, après la performance décevante de Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle et un débat bâclé contre Macron, Florian Philippot, alors numéro deux du RN, a été mis à l’écart, ce qui l’a finalement conduit à quitter le parti.

Cette fois encore, des têtes commencent à tomber.

Lundi soir, le député européen Gilles Pennelle, fraîchement élu, a démissionné de son poste de directeur général du Rassemblement national. M. Pennelle était en charge du plan Matignon, un plan de conquête du pouvoir du RN. Il devait être si infaillible qu’il suffisait d’appuyer sur un bouton pour le lancer.

Le « plan Matignon » avait pour objectif essentiel de sélectionner des candidats pouvant être déployés à tout moment. Mais c’est là que tout a mal tourné. De nombreux candidats se sont révélés inadaptés, soit parce qu’ils manquaient de professionnalisme, soit parce qu’ils tenaient des propos racistes ou xénophobes.

Les élections législatives françaises comprennent 577 scrutins, ce qui signifie que les partis choisissent souvent des militants locaux avec peu d’expérience pour les représenter, en particulier dans les circonscriptions où ils ont peu de chances de gagner.

Le journal d’investigation français Mediapart a recensé 106 candidats du RN qui avaient tenu des « propos haineux ou complotistes ». Certains des cas les plus graves, notamment celui d’un candidat photographié portant des objets nazis, ont conduit le parti à retirer officiellement son soutien à leurs campagnes.

Parmi les vidéos virales, on peut citer celle d’une candidate du RN affirmant maladroitement qu’elle ne pouvait pas être accusée de racisme parce qu’elle avait « un juif comme ophtalmologue » et « un musulman comme dentiste ». D’autres ont été vues paniquées ou incapables d’articuler un argument lors de débats organisés par des chaînes de télévision locales.

Les élections législatives françaises comptent 577 scrutins. | Ludovic Marin/Getty Images

Ces vidéos rappellent deux défauts qui, depuis des années, dissuadent les électeurs de confier le pouvoir à l’extrême droite française : la haine et l’incompétence.

La campagne du RN aurait peut-être survécu à de tels incidents sans une campagne concertée des opposants à Le Pen.

Les leaders de gauche et du camp Macron ont appelé leurs candidats à unir leurs forces de manière tactique pour tenter d’empêcher Le Pen et Bardella d’accéder au pouvoir. Des centaines de candidats de gauche et du centre se sont retirés du scrutin pour unifier le vote anti-Le Pen derrière un seul candidat pour affronter le RN.

Cette situation a porté un coup fatal aux chances de l’extrême droite. Elle doit désormais se ressaisir avant la campagne pour la présidentielle de 2027.

« Jordan Bardella va annoncer une réorganisation générale du parti », a déclaré au Monde le député européen RN Philippe Olivier. « Cela aurait eu lieu quoi qu’il arrive. Mais il y aura des changements périphériques pour tenir compte de ce qui n’a pas fonctionné. »

Le RN a déjà commencé à élaborer des arguments pour minimiser l’importance de la déception de dimanche. Bien qu’il ait perdu la plupart de ses élections au second tour, le RN a recueilli le plus de voix au niveau national, selon les dirigeants du parti, et a augmenté sa part de sièges à l’Assemblée de plus de 50.

La victoire du RN n’est pas annulée mais simplement « reportée », a réagi dimanche Marine Le Pen en réaction aux résultats, imputant la défaite du parti à une « alliance contre nature » entre la gauche et le camp de Macron.

Les dirigeants de gauche et du camp de Macron ont exhorté leurs candidats à unir leurs forces de manière tactique pour tenter d’empêcher Le Pen et Bardella de prendre le pouvoir. | Amaury Corn et Hans Lucas/Getty Images

Les difficultés du parti d’extrême droite pourraient néanmoins se répercuter sur la nouvelle législature. Marine Le Pen, en tant que chef de file du groupe, devra décider comment traiter les candidats controversés qui ont néanmoins réussi à se faire élire.

Parmi eux, Roger Chudeau, un député qui a causé des ennuis à son parti en affirmant que l’ancienne ministre de l’Éducation Najat Vallaud-Belkacem n’aurait pas dû être autorisée à siéger au gouvernement en raison de sa nationalité franco-marocaine ; et Daniel Grenon, qui a affirmé que « des Nord-Africains sont arrivés au pouvoir » et que « ces gens n’ont pas leur place dans les hautes fonctions ».

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