Bixente Etcheçaharreta

Jean Delaunay

Bixente Etcheçaharreta – Entretien

Vous êtes le fondateur de l’association Du Pays basque aux grandes écoles et avez été élu, en juin dernier, conseiller régional à la région Nouvelle-Aquitaine. Vous êtes actuellement porte-parole de la région et conseiller délégué à la communication.

 C’est un parcours politique et d’engagements bien rempli pour votre jeune âge en politique, mais pourquoi avez-vous souhaité donner une telle importance à l’engagement dans votre vie ?

Je vis l’engagement comme une nécessité. J’ai grandi au Pays Basque, un territoire qui foisonne d’initiatives associatives et culturelles. Mes parents étaient engagés dans le mouvement coopératif. Depuis mes plus jeunes années, j’ai toujours été délégué de classe ou élu étudiant.

J’ai également étudié à Sciences Po alors que je n’étais pas prédestiné à intégrer une grande école. Cela me donne le sentiment d’avoir quelque chose à rendre.

L’engagement donne la possibilité d’apporter sa pierre à l’édifice, de donner du sens et sentir que son action peut faire la différence. Mais c’est aussi la possibilité de vivre de belles dynamiques humaines, des rencontres qui vous enrichissent et la possibilité de découvrir bien des facettes que vous méconnaissiez.

Qu’est-ce qui vous a poussé à fonder l’association Du Pays basque aux grandes écoles ?  

L’intuition d’un profond dysfonctionnement : en intégrant Sciences Po à Paris, j’ai entendu très peu d’accents différents dans les couloirs de l’école. J’étais aussi surpris du décalage entre les excellents résultats décrochés dans mon lycée rural de Saint Jean Pied de Port et le peu de poursuites d’études vers l’enseignement supérieur.

En plus de corriger une injustice, nous avions la volonté de faire émerger une nouvelle génération qui s’engage sur les territoires et prend toute sa part dans le renouveau à construire. Nous voulions combattre la vision misérabiliste qui domine souvent lorsque l’on parle des territoires : nous étions fiers de nos accents et de nos racines. Nous voulions porter un message qui donne confiance aux lycéens qui y grandissent, et jeter des ponts entre diplômés et entrepreneurs locaux pour montrer que nous nous projetions dans une vie dans nos territoires une fois nos diplômes obtenus. En résumé nous voulions agir comme un boomerang : encourager les études et favoriser les retours des diplômés dans nos territoires.

Pourquoi avoir accepté la proposition d’Alain Rousset au porte-parolat et à la communication de la Région ?

C’est avant tout une rencontre. Nous organisions un évènement à destination des étudiants néo-aquitains au sein de la Maison de la Nouvelle-Aquitaine à Paris. Nous ne connaissions pas le président, pourtant, il s’est déplacé spécialement pour soutenir notre démarche d’égalité des chances.

C’est après que j’ai appris son propre parcours, celui d’un enfant d’ouvrier ayant intégré Sciences Po sans en avoir les codes. Avec le président Rousset, nos parcours et nos convictions entrent en résonance.

Je me reconnais dans sa vision de la Nouvelle-Aquitaine, celle d’une région respectueuse de ses territoires, foisonnante d’identités et de valeurs. Et en même temps, celle d’une région exigeante qui donne une forte impulsion à l’innovation, à la réinvention de ce que nous sommes. Un petit Japon.

Je partage son idée forte selon laquelle les réponses doivent venir des territoires eux-mêmes, de la responsabilisation et de la confiance donnée à leurs acteurs, plutôt que de l’unique décision d’un état centralisé qui finit par assécher les capacités d’initiative et qui, à vouloir s’occuper de tout, n’est efficace en rien.

Pouvez-vous nous expliquer exactement en quoi consistent vos rôles et vos missions à la région ?

Je siège dans la Commission des Finances et de l’Administration générale, ainsi qu’au sein de la Commission d’Appel d’Offre qui retient les entreprises qui travaillent pour la région.

Mais j’exerce également deux délégations confiées par le président : la communication et le porte-parolat. Nous avons vécu une campagne électorale atypique marquée par une forte désaffection démocratique. Le président m’a demandé de renforcer notre communication pour davantage expliquer ce que nous faisons, la vision que nous portons pour nos territoires. L’enjeu est de retisser le lien avec les citoyens qui ne s’intéressent plus à l’action publique.

Valoriser l’action de la région c’est aussi réussir à communiquer sur des politiques comme néo-terra, notre programme de transition écologique, qui implique plus de 450 scientifiques pour basculer toutes nos politiques sous le prisme environnemental. Même s’il est inédit par son ampleur, peu de citoyens en ont encore entendu parler.

Qu’avez-vous pu voir de différent entre l’engagement associatif et l’engagement politique par l’exercice de vos responsabilités actuelles ?

Le temps associatif permet l’action dans des délais brefs. On perçoit immédiatement l’impact de ses actions. Nous avons par exemple construit un dispositif de bourse au Pays Basque financé par les entrepreneurs locaux. La lecture des dossiers de candidature est toujours un moment d’émotion qui permet de saisir concrètement le résultat de son action.

Le temps politique est plus long. La puissance publique repose sur une architecture complexe mêlant administration, élus et citoyens. Lorsque nous co-construisons une politique régionale, nous rencontrons d’abord les acteurs et experts d’un domaine. Après le temps de la concertation, vient celui des arbitrages.

Le processus est plus lent, mais les leviers d’actions sont incomparablement plus puissants, et pérennes dans le temps, qu’ils soient financiers ou humains. La région porte par exemple des politiques de filières dans des secteurs stratégiques. Elle a créé Aérocampus, un centre de formation situé à Latresne dédié à la maintenance aéronautique qui rayonne en Europe. Encore récemment la région a créé le Ferrocampus à Saintes pour former aux métiers de la maintenance et de l’innovation dans le ferroviaire. Seule la région a la capacité de fédérer des acteurs nationaux et locaux en tentant d’anticiper sur ce que seront les besoins de notre économie demain.

Quelle place accordez-vous à la question de la jeunesse dans la politique menée ? Que mettez-vous en place à la région pour elle ?

Nous concentrons nos efforts pour répondre aux défis qui les touchent.  Une partie de la jeunesse a été déstabilisée par la crise sanitaire : nous avons débloqué au plus fort de la crise des dispositifs d’urgence pour soutenir les distributions alimentaires et les associations qui luttaient contre l’isolement.

Mais au-delà de la crise, nous essayons concrètement de lever les obstacles qui réduisent les possibilités offertes à nos jeunes. Nous accélérons par exemple la construction de résidences étudiantes, ou développons une offre de formation au plus près des territoires avec le concept « d’université à la campagne » comme à Felletin ou l’ouverture d’une école vétérinaire à Limoges. Car aujourd’hui le renchérissement des loyers dans les métropoles est devenu le principal obstacle à l’égalité des chances et aux poursuites d’études.

Je crois qu’après la pandémie qui a mis au jour nos fragilités, il est nécessaire de revenir aux fondamentaux. « Tout renouveau est avant tout un retour aux sources » disait Romain Gary. L’égalité des chances est un de nos idéaux les plus élémentaires et un outil puissant pour construire l’avenir de nos territoires en misant sur la formation des jeunes qui y vivent.

De votre point de vue d’élu, comment voyez-vous la relation entre les jeunes et la politique ? Comment comprenez-vous le fait que la jeunesse ait tendance à fuir l’action politique directe pour passer vers des actions associatives en priorité ?

Il y a dans notre génération l’idée que la politique ne peut plus changer la vie, que changer le monde c’est désormais créer son association ou sa start-up. 

On peut changer le monde et servir l’intérêt général par l’associatif et l’entrepreneuriat, c’est une évidence. Mais en délaissant le combat politique, l’engagement dans nos institutions, nous ouvrons la voie à une société dans laquelle les intérêts privés peuvent plus facilement triompher de l’intérêt général. 

Par ailleurs, seule la puissance publique peut agir dans certains domaines dans lesquels le marché et la société sont défaillants, qu’il s’agisse d’investissements de longs termes par exemple ou de corrections d’externalités. Même les économistes néo-classiques affirment l’importance de cette action. 

Par exemple, la région agit discrètement mais efficacement pour conserver et développer en Nouvelle-Aquitaine des technologies clefs pour l’adaptation au réchauffement climatique en déployant des moyens financiers et humains importants, dans un contexte de fortes rivalités internationales dans ce domaine clef.

 D’après vous, comment pourrions-nous lutter efficacement contre l’abstention lors des prochaines élections ?

Beaucoup a été dit sur ce sujet mais on ignore selon moi trop souvent les complexités administratives qui limitent le vote.

Il y a par exemple pour chaque élection une date limite d’inscription sur les listes électorales. On estime qu’entre 3 et 5 millions de nos concitoyens sont non-inscrits ou mal inscrits et donc dans l’impossibilité de voter. Cela touche en particulier les étudiants. Nous pourrions imaginer rendre l’inscription sur les listes électorales automatique à chaque déménagement pour faciliter l’accès au vote.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui souhaitent s’engager ? Que répondriez-vous aux jeunes qui considèrent que « ça ne sert à rien de s’engager » ?

Aux jeunes qui souhaitent s’engager, je pense que l’action associative est une excellente école. On y apprend la force d’un combat lorsqu’il est partagé, la vie de groupe, les compromis. On y gagne en sérieux et crédibilité. Lorsqu’on en a le désir, une expérience associative réussie prépare à l’engagement politique.

Aux jeunes qui considèrent que ça ne sert à rien de s’engager : toute l’histoire montre l’inverse. Ce sont souvent des petits groupes qui ont fait l’histoire, et montré qu’il n’y avait pas de fatalité. Et puis pour en venir à quelque chose de plus prosaïque : « Si tous les dégoutés s’en vont alors il ne reste plus que les dégoutants » comme l’a résumé Pierre Mauroy.

Laisser un commentaire

1 × deux =