Elles incarnent à elles seules une énigme médicale, un défi scientifique et une leçon d’humanité. À 33 ans, Abby et Brittany Hensel n’ont pas seulement survécu à des pronostics implacables : elles ont grandi, étudié, travaillé, et vécu, chacune avec sa tête, ensemble dans un seul corps.
Deux têtes, un seul corps, une histoire hors du commun
Nées le 7 mars 1990, dans le Minnesota, Abby et Brittany Hensel souffrent d’une forme extrêmement rare de gémellité : le dicephalic parapagus. Ce type de gémellité implique que deux individus distincts partagent un même corps mais conservent chacun leur propre tête et une partie de leurs organes vitaux. La probabilité d’une telle naissance est infime : environ un cas pour 189 000, et parmi ceux-là, seuls 11 % présentent cette configuration précise.
Leur condition médicale complexe implique des organes en double dans la partie supérieure du corps : deux cœurs, deux colonnes vertébrales, deux estomacs, deux systèmes respiratoires distincts. En revanche, le bas du corps est fusionné : un seul foie, un seul système reproductif, un intestin commun. Ce schéma anatomique unique fait d’Abby et Brittany un cas médical fascinant mais aussi une source inépuisable d’interrogations humaines et scientifiques.
Un refus de séparation assumé dès la naissance
À la naissance, les médecins proposent une opération de séparation, risquée, incertaine, et potentiellement fatale pour l’une, voire les deux sœurs. Les parents refusent. Le pari est audacieux. À peine 35 % des jumeaux siamois survivent au-delà d’un jour, et ceux qui dépassent ce stade sont exceptionnels. Pourtant, Abby et Brittany survivent à leur première nuit, puis à leur première semaine, et déjouent tous les pronostics en atteignant l’âge adulte.
Elles deviennent les premières sœurs siamoises américaines à vivre au-delà de l’enfance, un événement si rare qu’il n’avait été documenté que deux fois à l’époque, en Italie et en Turquie. Le monde entier découvre alors ces deux jeunes filles souriantes, qui ont chacune leur propre personnalité, mais un destin indissociablement commun.
Une enfance marquée par la normalité, malgré tout
Si leur condition est exceptionnelle, leur parcours scolaire et social est d’une banalité presque rassurante. Elles fréquentent l’école publique, participent à des activités extrascolaires, et nouent des amitiés. Leur croissance n’est pas exempte de complications : opérations pour scoliose, ajustements pour ralentir ou équilibrer la croissance de l’une ou l’autre, mais leur résilience ne faiblit jamais.
À 12 ans, la croissance de Brittany s’interrompt prématurément, tandis qu’Abby doit subir une opération pour stopper celle de sa colonne vertébrale. Malgré ces difficultés, les deux sœurs conservent une énergie communicative et une volonté farouche de vivre une vie aussi normale que possible.
Deux cerveaux pour un corps : une coordination fascinante
Le fonctionnement quotidien d’Abby et Brittany est aussi impressionnant que complexe. Chacune contrôle une moitié du corps : Abby à droite, Brittany à gauche. Manger, écrire, marcher, conduire – tout repose sur une synchronisation fine, une coopération permanente, et une communication constante, tant verbale qu’intuitive.
Ce n’est pas seulement une question de coordination physique. Les deux sœurs ont des goûts distincts, des personnalités opposées, et parfois des opinions divergentes. Mais elles doivent pourtant prendre toutes leurs décisions ensemble, de la tenue vestimentaire aux orientations professionnelles.
Aujourd’hui, à 33 ans, Abby et Brittany sont enseignantes, un métier qu’elles exercent avec la même rigueur que n’importe quel autre professionnel. Leur existence continue d’interroger, mais surtout d’inspirer. Car derrière les faits médicaux, derrière la rareté statistique, il y a une volonté farouche de vivre dignement, de ne pas être définies par leur condition, mais bien par ce qu’elles accomplissent. Et à ce titre, elles sont, à plus d’un égard, exceptionnelles.



