À Paris, le premier Forum francophone sur la nicotine a réuni experts, médecins et responsables politiques. Au cœur des discussions : la place que pourraient occuper la nicotine et ses substituts dans une stratégie de réduction des risques face au tabagisme, responsable de 75 000 décès par an en France.
Le tabac, un enjeu de santé publique
Le 3 juin 2025, la capitale a accueilli une rencontre inédite : le Forum francophone sur la nicotine, organisé par Norbert Neuvy, cofondateur de la plateforme Nicotine World. L’événement a mis en lumière un défi toujours d’actualité : la lutte contre le tabagisme.
Selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), plus de 11 millions de Français fument quotidiennement. Une dépendance massive, responsable chaque année d’environ 75 000 morts prématurées. Face à ce constat, les intervenants ont débattu du rôle possible de la nicotine dans l’accompagnement des fumeurs, à travers des alternatives moins nocives que la cigarette classique.
La nicotine, une substance mal comprise
Un des constats partagés au Forum est la confusion persistante entre tabac et nicotine. « Ce n’est pas la nicotine qui est à l’origine du cancer », a rappelé Philippe Couillard, neurochirurgien et ancien Premier ministre du Québec. Si la molécule entraîne une dépendance réelle, elle n’est pas directement nocive. Ce sont les produits de combustion – goudron, monoxyde de carbone, particules fines – qui provoquent cancers et maladies cardiovasculaires.
Cette idée a également été défendue par Olivier Véran, ancien ministre de la Santé, qui a reconnu sa « propre dépendance à la nicotine tout en soulignant qu’elle n’était pas en elle-même mortelle ». Pour ces experts, mieux informer l’opinion publique est essentiel : il s’agit de dissocier clairement nicotine et tabac afin de rendre plus acceptables les politiques de réduction des risques.
C’est aussi l’ambition de la plateforme Nicotine World, qui promeut une approche pragmatique. Selon Norbert Neuvy, « la nicotine est la solution qui permet d’envoyer au cerveau ce message positif dont a besoin le fumeur », sans les effets nocifs liés à la combustion.
L’exemple européen des alternatives au tabac
Le Forum a permis de comparer la situation française à celle de pays pionniers dans les alternatives comme la Suède, la Norvège ou le Royaume-Uni. Tous ont intégré depuis plusieurs années les substituts nicotiniques – cigarettes électroniques, sachets, gommes – dans leurs stratégies de santé publique.
Les résultats présentés sont parlants : 87 % des utilisateurs de substituts étaient auparavant fumeurs, et 61 % ont réduit ou cessé leur consommation de tabac. La Suède, en particulier, affiche un taux de tabagisme inférieur à 5 % chez les adultes, seuil que l’Union européenne espère atteindre en 2040, mais que le pays a déjà franchi avec quinze ans d’avance. Cette baisse s’accompagne d’une diminution notable des cancers du poumon et des maladies cardiovasculaires.
En France, une résistance idéologique
La France reste toutefois à l’écart de cette dynamique. Pour plusieurs intervenants, l’obstacle est moins scientifique qu’idéologique. « Le pays reste sur des difficultés émotionnelles concernant la réduction des risques et la nicotine », a estimé la docteure Imane Kendili.
Beaucoup plaident pour une libéralisation encadrée des produits nicotiniques, estimant que le secteur privé pourrait jouer un rôle clé dans leur diffusion et ainsi accélérer le recul du tabagisme. Pour Philippe Couillard, « la réduction des risques doit primer sur la logique d’interdiction ». Une position partagée par Olivier Véran, qui a rappelé que « des mesures d’accompagnement de la réduction des risques sont plus efficaces que des mesures d’interdiction ».
L’opinion publique en décalage avec la politique nationale
Un sondage présenté lors du Forum révèle que 65 % des Français se disent favorables à l’exploration d’alternatives au tabac. Pourtant, la politique actuelle suit une trajectoire inverse. Après l’interdiction des cigarettes électroniques jetables (« puffs »), une nouvelle interdiction est prévue en mars 2026, cette fois concernant les sachets de nicotine (« pouches »).
Ce choix illustre le clivage persistant entre deux visions : d’un côté, les partisans de l’abstinence totale, qui considèrent que tolérer la nicotine revient à entretenir la dépendance ; de l’autre, les défenseurs de la réduction des risques, qui estiment que l’immobilisme condamne à maintenir un niveau élevé de décès liés au tabac.
Un choix politique et sociétal
Le Forum francophone sur la nicotine a ainsi mis en lumière un contraste net : quand plusieurs pays européens enregistrent des résultats probants grâce aux substituts nicotiniques, la France reste attachée à une approche restrictive.
Pour les experts réunis à Paris, le débat dépasse la seule dimension médicale. L’enjeu est politique et sociétal : faut-il considérer la nicotine comme un problème en soi, ou comme un outil pragmatique pour réduire les ravages du tabac ?



