Bastien

3 à 4 millions de locuteurs : l’arabe dialectal domine les langues régionales en France

En France, quand on s’intéresse aux langues, on pense spontanément à Molière, au béret et à la baguette sous le bras. Pourtant, le paysage linguistique français recèle bien plus de surprises (et de dialectes) qu’il n’y paraît. Et au sommet de la pyramide, juste derrière la langue de la République, une inconnue célèbre tire son épingle du jeu : l’arabe dialectal, qui s’impose comme la deuxième langue la plus parlée du pays, loin devant les autres langues régionales…

Petit tour d’horizon d’un pays “monolingue”, vraiment ?

  • La Constitution française proclame que « la langue de la République, c’est le français » depuis 1992.
  • Pourtant, dans la majorité des pays du globe, on jongle volontiers avec plusieurs langues officielles – pensez au Canada ou à la Belgique.
  • Mais ce monolinguisme à la française n’empêche pas, selon Xavier North (ancien délégué général à la langue française et aux langues de France), un « paysage linguistique très mouvant, caractérisé par son extraordinaire variété ».

En effet, plus de 72 langues régionales survivent tant bien que mal. À cela s’ajoutent les langues dites « non-territoriales ». Depuis 1999, ces deux groupes forment ce qu’on nomme fièrement les « langues de France ». Jusque-là, rien de bien révolutionnaire… jusqu’à ce qu’on découvre le numéro un du podium (après le français).

L’arabe dialectal : le champion inattendu des langues de France

Si l’on en croit le classement de l’Ined, cité dans l’ouvrage Le Livre d’une langue (dirigé par Barbara Cassin et Xavier North, à l’occasion de l’ouverture de la Cité de la langue française à Villers-Cotterêts), l’arabe dialectal rassemble trois à quatre millions de locuteurs en France. Ce joli score en fait la deuxième langue la plus parlée sur le territoire, devant :

  • Les créoles et le berbère
  • L’alsacien
  • L’occitan
  • Le breton
  • Les langues d’oïl
  • Le francique
  • Le corse et le basque

Un tel classement serait une première historique, au croisement du recul des langues régionales, de la mondialisation et des migrations.

Mais me direz-vous : « Pourquoi l’arabe dialectal et pas l’arabe littéral ? » Différence cruciale : l’arabe dialectal n’est la langue officielle d’aucun pays – contrairement à l’arabe littéral, qui en met plein la vue sur les documents officiels. Voilà pourquoi il rejoint la liste des « langues de France », rejetant du même coup toute langue issue d’une immigration trop récente ou portant le badge de “langue officielle d’ailleurs”.

Minoritaire mais majoritaire : nuances et enjeux d’une langue vivante

Le statut de l’arabe dialectal est délicat. « C’est une notion un peu arbitraire, sans statut légal », rappelle Xavier North. On parle ici d’un ensemble de langues minoritaires pratiquées par des citoyens français « depuis assez longtemps pour faire partie du patrimoine culturel national », selon le ministère de la Culture.

Dans la catégorie des langues non-territoriales ? L’arabe dialectal, donc, mais aussi le berbère, le yiddish, le romani, l’arménien occidental, le judéo-espagnol, et la langue des signes. La sélection fut rigoureuse : Bernard Cerquiglini, missionné à l’époque par le ministère de la Culture, a retenu uniquement les langues qui respectent ces deux critères.

Mais comment compte-t-on les locuteurs ? Voilà une gageure. Les chiffres sont « difficiles à évaluer précisément et donc à tempérer », souligne Xavier North. Utiliser la « langue maternelle » comme référence est risqué : un Français d’origine algérienne peut déclarer l’arabe comme langue maternelle, sans pourtant en parler un traître mot. Difficile donc d’être aussi tranchant que la guillotine.

Un kaléidoscope de dialectes : la diversité de l’arabe parlé en France

L’arabe dialectal tranche par son absence de code écrit officiel et sa diversité incroyable. On est loin d’une langue monolithique : chaque locuteur peut ne pas comprendre son voisin. Jean Sellier note qu’« entre les dialectes de la péninsule Arabique et ceux du Maroc, la distance équivaut à celle séparant le portugais du roumain ». Autant dire que, pour se comprendre à Marrakech ou à Riyad, mieux vaut passer par Google Traduction…

  • En France, l’arabe maghrébin domine, mais il n’est pas rare d’entendre des formes libanaises, égyptiennes ou syriennes.
  • Alexandrine Barontini, professeure d’arabe marocain, tempère : « On ne peut pas dire qu’il y a un seul arabe du Maghreb ».
  • Pas plus qu’il n’existe une variété française de l’arabe.

De quoi nourrir la richesse de l’oralité, mais complexifier toute tentative d’unification ou d’enseignement écrit.

En conclusion, dans l’Hexagone, derrière le vernis d’un monolinguisme officiel, la valse des mots et des langues se poursuit. L’arabe dialectal, avec ses millions de locuteurs, illustre la pluralité et la vitalité du patrimoine linguistique français. Si vous tendez l’oreille au coin d’une rue, n’ayez crainte de ne rien comprendre : la France parle bien des langues, et certaines, aux contours mouvants, sont là pour rester… au moins jusqu’à la prochaine réforme de la Constitution !

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