La Chine demande à ses citoyens de stocker de la nourriture en prévision d’une crise

Bastien

La Chine demande à ses citoyens de stocker de la nourriture en prévision d’une crise

Un message sobre, presque anodin, publié sur le site du ministère chinois du Commerce. Mais derrière cette recommandation à faire des réserves alimentaires se cache une réalité plus complexe, entre pénurie redoutée, tensions diplomatiques et vulnérabilité structurelle.

Une alerte discrète, mais loin d’être anodine

Le ministère du Commerce chinois a publié un message appelant les ménages à constituer des stocks de produits alimentaires de première nécessité, sans toutefois avancer de motif explicite. Une injonction formulée avec prudence, évoquant uniquement la nécessité de se préparer « aux besoins quotidiens et aux situations d’urgence ».

En parallèle, les autorités locales ont reçu pour consigne de surveiller les flux d’approvisionnement, de maintenir la stabilité des prix et de gérer les stocks de viande et de légumes. Un ensemble de mesures qui intervient dans un contexte économique marqué par une hausse de 16 % du prix de 28 denrées alimentaires en un mois, selon des données relayées par la presse officielle.

Confinements, météo et pandémie : les fragilités de la chaîne agricole

Plusieurs éléments conjoncturels contribuent à alimenter l’hypothèse d’un risque de pénurie alimentaire. D’abord, les confinements successifs, imposés dès la remontée des cas de Covid, ont désorganisé les circuits de production et de distribution. Certaines villes comme Lanzhou, pourtant éloignées de la capitale, ont vu leurs habitants confinés sans délai, rappelant le manque de préparation lors des premiers épisodes de la pandémie.

S’ajoutent à cela des intempéries destructrices. L’été dernier, des inondations massives ont touché plusieurs régions agricoles, endommageant plus de 200 000 hectares de cultures. Et la fragilité du système n’est pas nouvelle : entre 2018 et 2019, l’épidémie de peste porcine avait déjà réduit de moitié le cheptel de porcs du pays.

Une vulnérabilité structurelle difficile à masquer

Au-delà de ces chocs ponctuels, la dépendance alimentaire de la Chine est un sujet de fond. Le pays ne dispose que de 8 % des terres cultivables mondiales pour nourrir 20 % de la population planétaire. Cette disproportion rend la Chine structurellement dépendante des importations.

En 2020, la Chine représentait à elle seule 29 % des importations mondiales de bœuf, 48 % du porc, 60 % du soja et 25 % de l’orge, selon le département américain de l’Agriculture. Or, ses principaux fournisseurs – États-Unis, Canada, Australie – sont aussi ceux qui pourraient, en cas de tensions diplomatiques accrues, notamment autour de Taïwan, réduire ou conditionner leurs exportations.

Crainte d’une escalade ou stratégie de précaution ?

La décision d’alerter la population pourrait ainsi répondre à une stratégie d’anticipation politique autant qu’à une préoccupation logistique. Certains experts, comme Mary-Françoise Renard, y voient une préparation à d’éventuelles sanctions économiques internationales, à mesure que le climat géopolitique se tend.

Cependant, la prudence reste de mise. Il s’agit d’un message diffusé sur un site administratif, sans prise de parole officielle de la direction du Parti. Pour Jean-Vincent Brisset, chercheur à l’IRIS, cette forme discrète vise à éviter les mouvements de panique, notamment dans une société encore marquée par les grandes famines du XXe siècle.

Une communication risquée, mais calculée

Le paradoxe est évident : alerter la population, c’est aussi reconnaître une vulnérabilité, et potentiellement alerter les fournisseurs étrangers. Pourtant, ne rien dire aurait été plus périlleux, estime Brisset. Le gouvernement chinois aurait délibérément choisi de communiquer, malgré les risques, considérant que l’inaction pouvait entraîner des conséquences plus graves encore.

En somme, cet appel au stockage révèle bien plus qu’une simple recommandation : il illustre les tensions internes d’un géant économique, pris entre fragilité logistique, enjeux politiques majeurs, et dépendance extérieure dans un contexte géopolitique incertain. Une alerte modeste, mais dont la portée pourrait être beaucoup plus large qu’il n’y paraît.

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