par Patrick Louis*

L'industrie européenne contribue à la production, à l'emploi, à l'innovation et aux exportations.La compétitivité européenne, déterminante pour l'industrie, est influencée par l'environnement économique, engendré à son tour par le cadre règlementaire, aux niveaux national et européen.
En Europe, créer un emploi dans l'industrie c'est générer de 2 à 3 emplois dans le secteur tertiaire. L'industrie est nécessaire pour maintenir un vivier d'emplois à la fois dans le secondaire mais aussi dans le tertiaire. Problématique rarement prise en compte par les défenseurs d'une tertiairisation de la société.
L'industrie européenne et la politique industrielle européenne : position des institutions
L'industrie manufacturière européenne demeure un fondement de l'économie européenne, elle[1] :
- emploie plus de 34 millions de personnes
- représente les trois quarts des exportations européennes
- totalise plus de 80 % des dépenses en matière de R&D du secteur privé
- fournit environ un cinquième de la production industrielle mondiale
Commission européenne : La politique industrielle de l'UE - Position sur la compétitivité industrielle[2]
La politique de compétitivité industrielle de l'UE vise à créer un environnement favorable à la prospérité de l'industrie.
Il s'agit de :
- stimuler l'innovation et la concurrence, ainsi que les investissements dans le savoir-faire ;
- garantir des conditions équitables au sein du marché unique, et dans les pays tiers ;
- réduire les frictions et le coût des transactions au sein de l'économie européenne, telles que les charges administratives.
Le cas échéant, elle facilite le processus d'ajustement des industries en déclin ou d'industries exposées à une pression d'ajustement socialement inacceptable.
Il est important aussi d'affirmer clairement que la politique de compétitivité industrielle de l'UE n'entend PAS :
- Intervenir ponctuellement, choisir des gagnants ou évincer des perdants, et qu'elle n'est pas favorable à des concepts similaires.
- Multiplier les règlementations ou les aides d'État. Il s'agit plutôt de règlementations réduites, mais améliorées, d'aides d'État moins nombreuses, mais mieux ciblées.
En 2005, la Commission a exposé pour la première fois son approche dite "intégrée" de la politique de compétitivité industrielle, basée sur une association d'initiatives trans-sectorielles (horizontales) et sectorielles.
Le Conseil de l'Union européenne et le Parlement européen soutiennent résolument cette approche intégrée et non-interventionniste.
L'industrie manufacturière européenne est toujours un secteur fondamental même si le passage à une société postindustrielle a souvent été érigé comme un but en soi.
Les industries, ainsi que les autorités publiques, se doivent d'assurer des ajustements structurels nécessaires d'une manière politiquement et socialement acceptable. Dans quelles mesures une politique européenne peut-elle aider ou amener à un décrochage de la production industrielle européenne? Quel rôle pour les Etats membres?
L'industrie européenne a été affaiblie par la crise économique, révélatrice de plusieurs faiblesses structurelles.
L'industrie européenne s'essouffle - Les causes
La mondialisation des échanges et le libre échange
Les pressions exercées par l'Asie du Sud Est sur les prix de vente des biens manufacturés imposent des restructurations aux industries européennes et une baisse des prix de vente des productions européennes sur les marchés internationaux.
Les pays émergents ont développé des politiques industrielles très énergiques. L'investissement y est dynamique et proactif. Les politiques industrielles mises en place reçoivent des investissements importants qui bénéficient aux technologies de pointe qui, par conséquent, se développent rapidement et contribuent au renouvellement industriel.
Le changement climatique, la nouvelle idéologie à la mode
Les problèmes liés au changement climatique n'occupent pratiquement que l'Union européenne. Les autres Etats qui s'industrialisent actuellement, repoussent la prise de décision le concernant par peur de stopper net ce développement industriel naissant.
La prise en compte du changement climatique est bien entendu majeure. Toutefois, dans l'intérêt des groupes industriels européens, au lieu de les taxer pour leurs émissions de gaz à effet de serre, ne faudrait-il pas mieux les aider à moins polluer? Un impôt négatif serait sans doute mieux à même d'éviter les délocalisations hors frontières de l'Union européenne que nous connaissons actuellement, notamment dans les industries les plus polluantes qui sont aussi celles qui emploient le plus de personnes, l'industrie minière et de transformation par exemple.
Pourquoi, dans ce cas, ne pas intégrer des protections aux importations qui ne respectent pas les critères mis en place par l'Union européenne?
L'évolution démographique
Quel est l'effet de cette donnée sur le secteur?
Plusieurs constatations sont à prendre en compte. Tout d'abord, dans certaines industries la moyenne d'âge des salariés n'a cessé d'augmenter depuis les années 1970. Le renouvellement des effectifs ne se fait que partiellement et une pénurie de main d'œuvre chez les ouvriers qualifiés ou les techniciens apparaît dans certaines branches industrielles.
L'orientation des étudiants est à mettre en cause. Beaucoup de filières privilégient le secteur tertiaire, perçu comme moins contraignant et plus valorisé par la société.
La recherche et le développement, l'innovation
La production industrielle européenne est ancrée dans la connaissance et le savoir. L'Europe doit se recentrer sur un politique d'investissement en recherche et développement, favoriser l'accès aux études et à la recherche. Cette politique doit se concentrer sur des mesures horizontales mais aussi sur des industries particulières, notamment les anciens secteurs à moderniser où la concurrence internationale fait rage.
Les industries européennes sont réputées très innovantes mais les investissements effectués par les pays émergents, la Chine et l'Inde en tête, font craindre des pertes de parts de marché considérables. Les industries européennes pourraient à l'avenir avoir du retard sur ces derniers.
La concurrence, l'exemple des technologies de l'information et de la communication (TIC)
L'Europe est considérée, dans le domaine des TIC, comme un marché mûr, dont une majorité de citoyens est dotée de biens technologiques tels que les téléphones portables ou encore d'internet. La croissance dans les TIC en 2009 n'a été que de 0,1% au sein de l'Union européenne (649 milliards) contre 8,5 % en Chine (159 milliards) et 15 % en Inde (51 milliards)[3]. La potentialité de croissance dans ces deux pays est extrêmement importante du fait que ce sont des marchés de consommation jeune et qu'en proportion de la population actuelle, une minorité de personnes est doté de telles technologies.
La Chine est devenue l’objet d’enjeux stratégiques pour l’avenir des TIC à l’échelle planétaire. La Chine devrait s’adjuger quelque 60 % des développements logiciels des grandes entreprises mondiales à partir de 2011, les délocalisations étant motivées par des réductions de coûts de l'ordre de 30 à 40 % en moyenne. Avec plus de 700 000 ingénieurs qui sortent des écoles chaque année, la Chine a quasiment supplanté les États-Unis en nombre de développeurs informatiques, l'Europe malheureusement est maintenant largement derrière.
Le nouveau défi pour les entreprises européenne est de contrer le doublement des parts de marché des entreprises chinoises dont les exportations envahissent l'Europe et non les Etats-Unis dont le marché est beaucoup plus protégé que le marché européen.
La Chine fait appel à des investissements massifs dans la recherche et le développement tout en mettant en place des barrières protectionnistes aux importations qui touchent les entreprises européennes.
Les implications pour l'Europe d'une telle situation sont les suivantes:
- Risque de perdre sa place de leader dans le domaine
- Bipolarisation entre les Etats-Unis et la Chine
L'Union européenne est seulement à la troisième place mondiale en termes d'investissement, une perte d'emplois est à craindre. En effet, si au sein de l'UE les investissements dans le domaine de la recherche représentent 5,5 milliards d'euros, aux Etats-Unis ils s'élèvent à 10 milliards d'euros.
L'Union européenne devrait autoriser les Etats membres à mettre en place des politiques visant à protéger leurs industries des importations des Etats tiers.
Le dumping social et environnemental de nos concurrents
L'Union européenne a fait le choix d'une économie sociale de marché sur laquelle elle ne peut revenir. La Stratégie 2020 de la Commission européenne veut remettre au centre des préoccupations les salariés et la défense des modes de production dans le respect de l'environnement et des normes sociales.
Or, ces normes environnementales sont beaucoup trop strictes et coûteuses. Les industries les plus lourdes délocalisent aux frontières de l'Europe ou en Asie, la vigueur de cette partie du monde est, dans ce cas, révélatrice.
Propositions de relance de la politique de recherche et développement industriels
Réformer les politiques d'investissements et favoriser les investissements en recherche et développement
C'est un fait, il existe un déclin de participation des industriels privés. Une simplification et une modification en profondeur des méthodes et des politiques d'investissements existantes sont nécessaires. De plus, une augmentation du budget en recherche et développement et la modernisation du cadre européen d'aides qui l'accompagne permettraient à l'Europe de rattraper le retard accumulé sur ses concurrents.
Mettre en place une politique de marchés publics ambitieux
Créer des coopératives dans le domaine de la connaissance
Cette approche mutualiste dans la recherche va devenir une obligation pour les Etats européens tant le retard déjà accumulé en terme d'investissement est grand. La coopération doit se baser sur une idée de propriété intellectuelle européenne moins rigide.
Développer des pôles industriels européens
Des budgets devraient être débloqués afin de créer ces pôles de compétitivité qui regrouperaient des pôles nationaux. Une telle démarche éviterait la concurrence et les délocalisations intra-européennes et améliorerait les transferts de technologie, la compétitivité et la productivité.
Promouvoir des systèmes d'alternance travail - études
La formation professionnelle doit être considérée tout au long de la vie active. Les salariés seraient ainsi à même de revoir et d'améliorer leurs compétences notamment dans les industries les plus en pointe et dans lesquelles la recherche apporte des modifications majeures dans les processus de production.
Renforcer la mobilité des travailleurs qualifiés qui s'appuierait sur des réseaux européens
Valoriser les interventions étatiques, régionales et locales
Les interventions des autorités publiques en cas de risques pour une industrie au lieu d'être "criminalisées" par la Commission européenne devraient être valorisées.
Créer un nouveau cadre juridique sur les restructurations et les conventions collectives transnationales visant à éviter les délocalisations y compris intra-européennes
Conclusion - Protéger nos industries, une obligation dans une économie globalisée
Même si le mot fait peur aux partisans d'une Europe toujours plus intégrée, il faut plaider pour des mesures de protection. Déterminer ce qui doit être libéralisé et ce qui ne doit pas l’être, ce qui doit être protégé (et à quelle hauteur) et ce qui ne doit pas l’être est une question fondamentale. Il s’agirait de rétablir une concurrence non faussée (par des écarts de salaires excessifs, par un trop fort différentiel de normes sociales, sanitaires ou environnementales, par un taux de change qui déforme la valeur des biens).
L’économiste et prix Nobel français Maurice Allais explique que le libre-échange ne marche bien que quand les niveaux de développement sont comparables. L’objectif est ainsi de consolider des espaces de régulation régionaux. Une telle démarche serait, pour l'économiste, pertinente pour l’Union européenne[4].
Le Traité fondateur de l'Union européenne contraint les États membres à une interdiction généralisée des aides publiques qu'ils peuvent proposer à certains acteurs économiques : les "aides d'État". L'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'UE (ex-article 87 TCE) (ex-articles 87 et 88 du Traité CE)[5] dispose que sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions interdisent "tout financement d'État pouvant "fausser ou menacer de fausser la concurrence". Dans la pratique, toutefois, l'intervention des gouvernements s'avère nécessaire pour permettre à leur économie de fonctionner de manière normale et équitable.
Les règles fondamentales du Traité ont donc été complétées par une série d'actes législatifs qui autorisent les exemptions, et la Commission européenne, qui détient d'importants pouvoirs d'enquête et de décision concernant les aides d'État, a établi un système de règles contraignantes pour les États qui souhaitent mettre en place de telles exemptions. Ainsi, il est très difficile pour un Etat de mettre en place de telles aides publiques alors qu'il s'agit d'un des moyens les plus complets pour sauver nos industries en danger.
Patrick Louis
Ancien député européen
Secrétaire général du MPF
Sources
Le Figaro : www.lefigaro.fr
La politique industrielle européenne, Représentation permanente de la France auprès de l'UE
DG Internal policies IPOL, Parlement européen
Commission européenne
Site internet : www.protectionnisme.eu
Alcatel-Lucent : www.alcatel-lucent.com
Fondation pour l'innovation politique : www.fondapol.org
[1] Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne
[2] Commission européenne : http://ec.europa.eu/enterprise/policies/industrial-competitiveness/industrial-policy/index_fr.htm
[3] Chiffres Alcatel-Lucent
[4] Etude de la Fondation pour l'innovation politique : http://www.protectionnisme.eu/Les-de-localisations-enjeux-politiques-d-un-phenomene-encore-mal-connu_a74.html Les (dé)localisations : enjeux politiques d’un phénomène encore mal connu, Raphaël Wintrebert, Fondapol (Fondation pour l'innovation politique), Août 2007.
[5] Application des articles 87 et 88 du traité CE à certaines catégories d'aides d'État horizontales : http://europa.eu/legislation_summaries/competition/state_aid/l26043_fr.htm