
Philippe de Villiers au Parlement européen à Strasbourg (L'ObsE)
Le XXIe siècle commençant ne se caractérise pas, comme certains l’avaient imprudemment prédit, par “la fin de l’histoire”. Au contraire, il est traversé de grandes évolutions qui devraient pleinement nous mobiliser : l’essor de l’Asie et l’apparition de nouvelles grandes puissances ; l’onde de choc qui traverse les pays arabes ; le grand défi environnemental… Mais face à ce champ largement ouvert, l’essentiel de notre énergie et de nos moyens se trouve absorbé par un problème interne, artificiel et lancinant. Un problème que les dirigeants européens ont créé de toutes pièces, qui nous ronge et affaiblit nos capacités d’influence et d’intervention : “il faut sauver l’euro à tout prix”. Cette obsession nous amène à nous recroqueviller sur nous-mêmes. Le temps n’est-il pas enfin venu de tenir compte des mises en garde que nous formulions déjà il y a près de quinze ans ?
La génération actuelle des dirigeants européens a établi le double dogme de la monnaie unique européenne et du “libre-échangisme mondial” à l’origine de la crise. Mais devant la contradiction des faits, elle est incapable de se désavouer. Placés aujourd’hui face aux dégâts produits par la politique qu’ils ont mise sur les rails, avec les traités de Maastricht et de Marrakech, ces dirigeants sont aujourd’hui forcés d’en dénoncer les conséquences, mais en se gardant bien d’en désigner les causes réelles, parce qu’elles engagent lourdement leurs propres responsabilités.
Refusant de voir le vice constitutif de la monnaie unique et du libre-échangisme, feignant de croire que la crise de l’endettement résulte exclusivement de politiques budgétaires laxistes, ils nous précipitent dans une course folle et sans issue vers des remèdes illusoires : un fédéralisme budgétaire piétinant le coeur de la souveraineté ; une Banque centrale européenne qui devrait se gorger de créances douteuses ; un Fonds de soutien européen incapable de faire face à l’addition des pays défaillants ; un endettement européen – les eurobonds – qu’il faudrait ajouter à l’endettement national ; une rigueur sans croissance qui creuse les déficits en prétendant les combler. Tout, pourvu que l’on ne touche pas au dogme.
Notre malheur vient sans doute du fait que c’est la même génération de dirigeants qui a lancé il y a dix ans l’euro dans l’euphorie et qui en subit aujourd’hui la crise existentielle. Une autre génération aurait sans doute pu se dégager plus facilement du dogme. La génération des dirigeants actuels semble vouloir tout faire pour prolonger une euroagonie qui risque de coûter très cher aux Européens et de restreindre considérablement notre liberté d’action.
Nous pourrions encore redresser la barre en lançant une négociation pour une nouvelle organisation mondiale du commerce qui accepterait la régulation des échanges, inéquitables, et en inventant une union monétaire européenne plus flexible qui tolérerait que les pays en difficulté puissent se mettre en congé de la monnaie unique. Mais qui aura le courage d’engager ce combat ?
Philippe de Villiers (député européen), Dominique Souchet (député), Georges Berthu (ancien député européen).
Source : Valeurs Actuelles, 5 janvier 2012