
Ce n’est pas seulement la France qui a vu sa note dégradée par l’illustre agence Standard & Poors, c’est la majorité des pays de la zone euro ( seules exceptions : l’Allemagne, les Pays-Bas, la Finlande et le Luxembourg). Les deux tiers de la zone euro sont ainsi assimilés à des débiteurs qui ne représentent pas une fiabilité totale.
Le paradoxe est que la zone euro n’avait pas été seulement conçue, à l’origine, comme une simple mise en commun des forces et des faiblesses des pays membres, mais aussi comme un projet de « vertu » collective rompant avec des habitudes séculaires jugées néfastes, d’inflation, de déficits, d’endettement public. Une compagnie de buveurs s’était juré de ne plus toucher à la dive bouteille ! Influence l’école autrichienne pour qui l’inflation est le mal suprême, de l’idéalisme des élites françaises ou plus encore des exigences de l’Allemagne dont l’ horreur de l’inflation, depuis le traumatisme de 1923, est devenue congénitale ? Tous ces facteurs ont joué. Mais dès lors que le projet d’une monnaie unique européenne s’inscrivait plus largement dans celui de la « construction européenne », dans le dessein prométhéen de refaire l’histoire, de dépasser une fois pour toutes les rivalités nationales qui ont marqué le passé, il était logique que , en matière économique aussi, il ait présenté cet aspect utopique de refondation du monde , d’instauration de ce que Philippe Muray appelle l’ « empire du bien », le bien étant en l’espèce l’inflation zéro et le déficit zéro.
C’est dire que la décision de l’agence de notation fait tomber de haut les promoteurs du projet.
Très justement, elle explique qu’aucune des décisions prises par le tandem Merkel-Sarkozy au cours des derniers mois, focalisées sur les dettes dites « souveraines », ne traite le vice de fond de l’édifice : le différentiel des taux d’inflation qui éloigne de manière irréversible les pays les uns des autres et aggrave chaque jour les déséquilibres entre eux.
En recherchant la vertu, l’euro a encouragé le vice. De quelle manière ? En supprimant le frein qui, dans tous les pays, dissuadait de laisser filer les prix ou d’exagérer les déficits publics : la crainte d’une dévaluation de la monnaie nationale par les marchés (ou d’une attaque spéculative en situation de change fixe). Un risque que, selon le tempérament national certains acceptaient plus que d’autres, mais dans certaines limites . Comme l’avait dès le départ prévu l’illustre chroniquer du Monde, Paul Fabra, l’euro, que l’on tient à tort pour un projet libéral a voulu, en cette matière, substituer l’autodiscipline (voire un hypothétique contrôle politique) à la contrainte du marché. L’échec était prévisible.
Même un pays comme l’Allemagne que l’on a toujours posé comme un modèle de vertu s’est laissé aller au dévergondage : n’oublions pas que , même si sa note n’a pas été à ce jour dégradée, elle a la dette publique, en valeur absolue, la plus lourde de la zone euro ! A tout le moins a-t-elle contenu ses prix et surtout ses salaires. C’est ce que n’ont pas fait les pays latins , plus flexibles, dans des proportions variables , sur cette matière.
On voit le résultat. Plus que jamais l’aventure de l’euro illustre cette constante de toute démarche utopique : « qui veut faire l’ange fait la bête ».
Roland HUREAUX*
Essayiste
http://roland.hureaux.over-blog.com/
- Auteur de La grande démolition – La France cassée par les réformes, Buchet-Chastel, janvier 2012